Michael Begg – Witness. Ambient Chamber Works 2020-2024

https://omnempathy.bandcamp.com/album/witness-ambient-chamber-works-2020-2024

 

Pour qui suit régulièrement ces lignes, l’exploration des lisières est devenue familière. Michael Begg s’en est fait une spécialité, avec pour principal point d’ancrage le crépuscule.

Cette compilation, puisqu’il faut bien la nommer ainsi, propose un point de vue sur différents travaux réalisés durant quatre années. La pandémie, puisqu’elle interdisait ou limitait le déplacement horizontal, a lancé Michael Begg dans une ascension vers les données satellites qu’il a détournées en sons, dans un voyage synesthésique nommé Witness, dont quelques passages de cet album témoignent encore. J’invite le lecteur à reprendre mon focus sur cette impressionnante expérience : https://denisboyer-feardrop.blogspot.com/2020/09/witness-michael-begg-veilleur-de-nuit.html

On comprend vite qu’il ne s’agit pas d’une amusette sonore mais bel et bien d’une composition, et même d’une nouvelle direction de méthode, dont la visée esthétique est toujours assumée : transformation et naissance sont corrélées. Transformation du signal en son, naissance de l’harmonie.

J’ai écrit il y a longtemps que Michael Begg agissait à la manière d’un jardiner. J’élargirais maintenant l’image en le comparant à un alchimiste. Dans de nombreux morceaux de cet album, il s’agit de capturer le signal, de le faire bouillonner dans le creuset de la manipulation informatique pour en faire un matériau sonore sensible. Ainsi, toutes sortes d’informations – météorologie, géologie, biologie marine, variabilité de la glace de mer… – abondent le mélange avec lequel le musicien travaille.

Voilà pour la démarche. Mais notre expérience d’auditeur nous emmène bien plus loin, dans la peinture d’un paysage sonore. Car de la même manière que le signal devient musique (« Make your data sing » écrit Lukrecia Stulik, scientifique avec qui M. Begg a travaillé pour quelques pièces dont Polynya), de la même manière la trame devient dessin. Michael Begg a ce talent délicat de la composition qui lui fait dénuder avec patience le contour harmonique dans le bourdon, le fredonnement dans l’onde. Parfois, quand la source est déjà d’origine sonore, on entend, qui se mêlent aux instruments véritables, des fragments – on serait tenté d’écrire des vestiges – marque de respect sans doute mais aussi geste artistique semblable d’une certaine manière à la technique du bas-relief, la gangue et la forme sur le même plan.

Mais pour l’essentiel il s’agit d’une forêt musicale où l’ombre règne absolument mais dont les frondaisons laissent passer suffisamment la lumière pour éclairer les efflorescences de fredons, de fragilités de cordes, de mélodies primordiales, comme des souvenirs. Il est presque addictif d’errer dans cette sylve ambiante, ultime transformation poétique des inquiétudes dont témoigne la science à propos de notre monde en danger. Dans le temps des contes, la peur peut être un guide, la nostalgie un foyer.

Denis Boyer