Grégoire Gerstmans – Hypnagogie

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Il existe une recherche de la simplicité, du dénuement, que des formes d’art asiatiques ont comprise bien avant les autres, et il arrive souvent que cette recherche prenne le temps d’une vie. Il arrive aussi, à la faveur d’une volonté particulière, et d’un talent certain, que ce but soit atteint dès l’abord.

Tony Conrad avait déclaré à Lawrence English que « le minimalisme, ce n’est pas faire moins mais plonger plus profond ». Il semble que Grégoire Gerstmans, percussionniste de formation, ait compris cette leçon en composant les différentes pièces pour piano de son premier album, Hypnagogie. Chacune d’entre elles semble surgir d’un de ces lointains que le sommeil promet ou feint de nous faire retrouver jusqu’à nous tromper. L’hypnagogie, cet état intermédiaire entre la veille et le sommeil, s’accompagne d’un état de conscience autrement inaccessible sans stupéfiant et rejoint une intimité dissimulée.

La simplicité, la modestie des suites mélodiques de Grégoire Gerstmans lentement se déploient, jouent de cet effet, jusqu’à elles aussi créer un faux effet de miroir : « Il existe une heure de la soirée où la prairie va dire quelque chose. Elle ne le dit jamais. Peut-être le dit-elle infiniment et nous ne l’entendons plus, ou nous l’entendons, mais ce quelque chose est intraduisible comme une musique…», écrit Borges dans L’Auteur et autres textes.

Pareillement, certaines des mélodies de Grégoire Gerstmans paraissent appeler, lorsqu’on les fredonne en même temps qu’elles se déroulent, une suite qu’elles ne disent pas mais que l’on devine, un fantôme du passé ou d’un avenir, un avenir non avenu mais que la musique, artifice du temps, porte en gésine.

Pour la forme, si la proximité avec Nils Frahm est évidente, on pense ponctuellement aux gisements de mélodies primordiales que sait exploiter brillamment Roger Eno, et, aussi bien, l’esprit de la variation du Soft Black Stars de Current 93 est par moments frôlé.

Chacune des pièces, que l’on pourrait appeler miniatures, fait appel au souvenir, intime, brumeux, profond ou fugitif, que l’auteur évoque pour qui voudra le lire. Et il réussit ce tour de force de permettre à la musique de parler doucement, avec une touche de juste mélancolie, et de la laisser résonner sans imposer à chacun autre chose que la fécondité de sa propre intimité.

Denis Boyer