Alva Noto – Xerrox vol. 5

Noton

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Carsten Nicolai alias Alva Noto est, dans une génération de musiciens résolument électroniques apparus à la charnière des siècles, l’un des plus talentueux. Le courant était abondamment chargé à cette époque : electronica, glitch, idm, downtempo, minimal techno… Le temps a opéré sa décantation et il reste, avec le recul, un nombre limité d’artistes marquants.

Alva Noto est de ceux-là. Il a, semble-t-il, l’intelligence et le métier des véritables modernes, ceux qui s’appuient sur leurs influences ; il ne chancelle pas. Appui, et aussi frontière. Quand d’autres bannissaient tout horizon mélodique, Alva Noto y a toujours plongé son regard, « osant » ce que d’autres considéraient comme interdit. Une abstraction qui évoque, voici sa force.

Le travail d’Alva Noto, et particulièrement sur la série Xerrox qui se clôt avec ce cinquième volume, s’est nourri de celui de devanciers, les pionniers synthétiques allemands des années 70 dont il magnifie la démarche en cherchant ses propres sons comme ils le firent eux-mêmes.

Le périple de Xerrox, comme celui de la Berlin School que nous venons de convoquer, est volontairement cosmique. C’est un voyage tranquille, froid, et certainement sans retour. Du premier volume, Old World, la capsule synthétique s’est élancée pour ici s’achever dans la tranquille désintégration, cet épilogue s’intitulant Sailing with the Ion Wind in the Ocean of Dissolution.

Drame sans pathos, surplomb stoïque sur l’émotion sans sentimentalisme, cet album se nourrit ainsi d’une expérience multiple, stylistique – les nappes englobantes et les tintements sont totalement personnels, proches de l’instrument –, poétique – la composition alterne les vagues pleines de lentes respirations, les épiphanies lumineuses, les drones profonds –, et puissamment évocateur. Chaque mesure est comme la lente et timide progression d’un palpe, un flux que le jusant efface à peine, curieux sans doute de ce que le prochain mouvement portera comme harmonique, comme image aussi.

Alva Noto est, disons-le, un maître de l’abstraction figurative, ce curieux oxymore qui n’effraie pas les artistes de la lisière. Profondément inspiré par l’image mais aussi par la naissance mélodique, le fredon, la forme, Alva Noto a travaillé avec Ryuichi Sakamoto à la musique du film The Revenant, il a repris Eno (avec le même Sakamoto), Bowie (avec William Basinski et Martin Gore), et dans sa version de A Forest de The Cure il utilise précisément les sons de nappes et de tintements si personnels qui font la marque des Xerrox.

Cette fin de voyage est une leçon, une sorte d’accomplissement de l’organique dans le synthétique, de la chaude singularité du sang dans le froid du silicium, un regard résolument romantique sur l’arborescence logicielle.

Denis Boyer