Thisco
https://walthisney.bandcamp.com/album/polymathism-k7
Depuis des années le musicien portugais Fernando Cerqueira est actif à promouvoir la scène indépendante postindustrielle du monde entier sur son label Thisco. Jouant sur la paronomase This / Dis, il prolonge volontairement la confusion en faisant rouler les incarnations et les embranchements de This / Dys. Aussi bien ce jeu des mots sur l’interférence, la butée, reflète une pensée politique, dissidente qui s’illustrait déjà il y a quelques années sur les cartes postales promotionnelles du label affichant sur fond noir « This space is not available for corporate advertising ». Le polymorphisme de ses propres activités musicales ensuite situe volontairement Fernando Cerqueira à une place incertaine de l’échiquier musical. Son projet électro Ras.Al.Ghul (le très ambigu ennemi de Batman) est contrebalancé par l’incarnation ambiante Rasal.Asad.
Quant à Whalthisney, malgré un nom en provocation à l’hégémonie culturelle de la multinationale, il ne s’agit pas d’un projet comme on pourrait l’attendre de plunderphonics ou de collages, mais d’un exercice généralement electronica.
Ce qui rend singulier l’album Polymathism, publié uniquement en cassette et en format numérique, c’est que, à ma connaissance, il explore un territoire plutôt inédit dans le paysage du musicien portugais.
La majeure partie des compositions, collection de morceaux publiés sur d’autres labels, se construit autour de phrases de piano et évolue dans une tradition que l’on pourrait regarder naître avec Érik Satie et se prolonger jusqu’à William Basinski. Peu de notes, des motifs clairs plongés dans un bain de résonances qui loin de les dissoudre semblent les projeter en écho. Mais tel le souvenir qui ampute et déforme involontairement, ce traitement craquelle les motifs, les fragmente sans leur ôter leur beauté. Dans ce type de musique, de célèbres devanciers se sont essayés – on pensera pour cette réverbération maîtrisée à A Blues In Drag de The Glove (auquel Rain de Tones On Tail est si redevable), et bien sûr au travail de Brian et Roger Eno sur le piano. Tout cela ici prend une teinte plus énigmatique – sinon sépulcrale du moins monacale –, des fragments de voix lointains, fantomatiques, pouvant investir la sphère. Le synthétiseur est mis à profit car la modernité se mêle d’un hommage appuyé aux musiques ambiantes des années 1970. Et certains morceaux renversent la prépondérance des notes cristallines pour laisser la part la plus vaste aux nappes synthétiques. C’est, à la lettre, l’ambiance qui est ainsi servie au gré de l’errance, sorte d’ascèse paradoxalement lumineuse où le sacré du cristal infrangible rejoint l’évanescent du souffle lumineux.
(Pour prolonger cette écoute, on se penchera sur la belle compilation Thing 4 du label Attenuation Circuit où une composition de Whalthisney voisine un morceau de même coloration par The Phlod-Nar : https://www.attenuationcircuit.de/releases/101/whalt-thisney-i-the-phlod-nar-i-el_masmore-i-claus-poulsen-thing )
Denis Boyer