Temporary Residence
https://williambasinski.bandcamp.com/album/september-23rd
Les miroirs étamés, puis les glaces argentées, présentent des traces, taches ou dendrites, altérations du tain ; les vitres que la buée ou le givre troublent, appliquent au réel une taie. Ainsi est le souvenir, parfois fragmentaire, d’autres fois brouillé, ainsi travaille la musique de William Basinski. Ses notes de piano jouées, disons en septembre 1976, s’épanchent aujourd’hui comme érodées, filtrées, magnifiées, effilochées, par le geste patient du musicien.
Ce n’est pas la première fois que William Basinski exhume ses archives pour composer ou adapter une pièce. L’album Lamentations s’y plongeait souvent. Aussi bien, la nostalgie est un fil qui traverse bon nombre de ses œuvres. Le regard rétrospectif, avec son filtre distordant le réel, nommé souvenir, est doublé par le geste artistique. Ainsi s’opère une double transfiguration.
September 23rd, publié comme il se doit à cette date précise de cette année, prend racine dans un matériau enregistré il y a presque cinquante ans, lorsque Basinski vivait encore à New York – un autre jour de septembre, vingt-cinq ans plus tard, si funeste, est à l’origine des Disintegration Loops qui rendent indissociable la musique de Basinski de New York.
Moins douloureux, moins sidérant, September 23rd s’épanouit sur une séquence de piano, enregistré pauvrement dans l’appartement new yorkais. La bribe extraite puis retravaillée, jouit de l’habituel et subtil geste artisanal de William Basinski. C’est dans son propre reflet que l’accord délié de piano s’épand, goutte à goutte et chaque goutte miroitant, éployant ses ondes. Un fredonnement primordial vient au jour, hypnotique.
J’ai dit, commentant ses Disintegration Loops, que William Basinski, peut-être à son corps défendant, « vient lever la supercherie de toute musique et de la musique répétitive en particulier : l’illusion de la circularité ; désormais il faudra faire avec une musique de la nostalgie – ressassement conscient, douloureusement conscient de l’irréversibilité de la vie […] ». Effectivement, le trajet que parcourt durant quarante minutes ce fantôme de phrase musicale se trouve altéré, visité, relevé, creusé, embrumé, éclairé par le subtil travail d’érosion et de manipulation du musicien. La granulosité, la luminosité, l’écho, le temps d’allongement – aussi sensible que l’anamorphose des ombres au gré des heures du jour – le temps de pause également, tout cela vient ensabler le mécanisme de la répétition.
Tout est alors question d’immersion, de plongée dans la beauté presque insondable de ces boucles altérées. Le nageur tel le poisson produisant d’infimes mouvements pour paraître statique dans le courant ne ressentira pas de plaisir plus vif, de connaissance plus intime du plus fin de ses muscles, que l’auditeur de September 23rd jouissant de discrète exultation.
Denis Boyer