Arnaud Fournier – 100% Black Puzzle

Ici d’ailleurs / Bruillance

https://afournier.bandcamp.com/album/100-black-puzzle

 

Il y a trente ans paraissait 100% White Puzzle, le premier album de Hint qui devait faire date parce qu’il participait pleinement de l’esprit du temps sans sacrifier la singularité du duo formé par Hervé Thomas et Arnaud Fournier. Dans la galerie de miroirs qui reflétait avec plus ou moins de trouble la férocité mécanique de Godflesh et Ministry, Hint s’offrait sous un angle totalement différent. Mise en scène filmique, tensions et relâchements, utilisation des samples, présence des cuivres à égalité avec la guitare, tout cela concourait à une musique qui, pourtant ancrée dans son époque, n’était superposable à aucune autre.

Aujourd’hui, après plusieurs projets forts en rythmes ou en dominances mélodiques (La Phaze, Atonalist…), Arnaud Fournier revendique dans son premier album solo 100% Black Puzzle, sinon un retour, du moins un rappel à cette expérience fondatrice.

À la manière d’un koan, les titres jumeaux s’emparent d’un paradoxe, celui d’un monochrome fragmenté, découpé, autrement dit les déclinaisons d’un même état d’esprit.

On sait qu’Arnaud Fournier est multiinstrumentiste, que ses gestes s’appliquent aussi bien à la guitare qu’à la trompette, celle qui colorait si particulièrement la musique de Hint. Il semble, attentif aux cordes et aux boutons des pistons, leur accorder la même délicatesse, quand même il les emmène hennir ou rugir. Plus simplement dit, il s’attarde, jusque dans des jeux de répons, à délicatement déplier ses instruments sur un terrain mélodique, juste assez discrètement dans le premier morceau éponyme pour instiller un filet mélancolique qui trouble l’effet de symétrie et fait ainsi évoluer ce 100% Black Puzzle vers des nuances de bleu, de gris et de rougeoiement qui vont une première fois rappeler Hint.

Arnaud Fournier a l’âme collective et si c’est son premier album solo, un seul des morceaux (New York Belle Île) a été réalisé seul. On y entend son jeu de trompette si particulier couplé à une fragmentation électronique surprenante.

Pour les autres, les collaborations permettent d’alimenter le terreau déjà riche des trompettes et guitares. On retrouve pour deux morceaux Jean-Michel Audoire, déjà présent sur un album de Hint, Dys, mais les deux collaborations les plus novatrices sont d’une part le très beau single It’s The Leaving That’ll Kill You, chanté par David-Ivar Herman Düne, où la mélancolie revient équilibrer les refrains ; et d’autre part la longue plage Miroirs, réalisée avec le multi-instrumentiste Frédéric D. Oberland (Foudre ! Oiseaux-Tempête). Ce morceau apparie de manière quasi organique la trompette nébuleuse aux sinus électroniques évoquant tant la Berlin School que sa descendante, l’esthétique microson. Comme ailleurs sur le disque, des filandres de guitare granuleuse tapissent le fond de la pièce, organisant les réverbérations.

Un disque captivant prend ainsi forme, dont le titre intervient en miroir du premier album de Hint, et qui précisément se conclut avec un duo Arnaud Fournier / Hervé Thomas, autant dire un nouveau morceau de Hint, assez gazéifié pour laisser entrevoir encore toute la richesse des images vectorielles présidant au découpage du puzzle…

Denis Boyer