Stephan Mathieu – Un cœur simple

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Qu’Un cœur Simple précède, dans les Trois Contes de Flaubert, La Légende de Saint Julien l’Hospitalier, ne procède peut-être pas, à proprement parler, du contraste, mais plutôt de la nuance. La Légende de Saint Julien l’Hospitalier est un récit d’une puissance rarement atteinte dans la prose, si ce n’est dans certains textes sacrés, qui relèvent sans doute d’une forme singulière de prose. Contexte médiéval, mythologique, nature oraculaire, violence et rédemption quasi bouddhique, tout concourt à en faire un texte d’une hauteur que le moindre essai de duplication dans un environnement réaliste dégraderait. Et pourtant, à mon sens, le destin de Félicité, l’héroïne d’Un cœur simple, n’est certainement pas moins édifiant que celui de Julien, il lui est symétrique. Félicité est un cœur simple et son esprit semble l’être tout autant. Du simple au pur, il n’est peut-être qu’à vivre, pour monter en grade, la passion de l’amour et de la déception, de l’intense peine et de l’affliction. Après tout Julien ne finit pas moins humblement. Son double destin seul le sauve du pathétique que Félicité n’évite pas. Le caractère sacré des deux vies ne fait pas de doute et les deux personnages s’absentent du monde après une série d’épreuves. Une pièce de théâtre, adaptée de la nouvelle de Flaubert, s’est vue habillée d’un manteau sonore commandé à Stephan Mathieu. Il lui est échu d’illuminer d’une sainte lumière harmonique le destin de cette domestique bienheureuse et chagrinée. Un sacré du simple, un art roman de la musique électronique, Stephan Mathieu – aussi bien que Steve Roden ou Giuseppe Ielasi – y est préparé. Construite d’après les parties successives du conte présentées dans la pièce, la musique de Stephan Mathieu flotte en saupoudrant de poussière d’or la scène que l’on s’imagine. Le label nous rappelle que le musicien allemand s’est entiché de procédés anciens de production et de reproduction de sons. Cette distance au moderne l’appareille d’avance dans sa démarche au personnage en constant décalage, sans compter le nombre d’années qui nous sépare de l’écriture du conte. C’est ainsi dans un manifeste climat nostalgique à bien des égards que la condensation d’harmoniques et de boucles agit. Alors que certains des albums de Stephan Mathieu s’articulaient autour de fontaines d’harmoniques et de concrétions qui accidentaient le faisceau de lumière, Un cœur simple ne connaît de heurt que dans le souffle coupé par le sanglot qui menace. L’immense potentiel romantique qui nourrit les réverbérations des huit pièces les pare d’une double dimension dans le flux et le reflux des vagues évanescentes ; englobantes dans leur diffusion de lumière, elles intériorisent dans le même temps l’esprit de fredonnement que la lente alchimie fait lever. Pour exemple, le vaste tremblement d’inquiétude que diffuse la pièce Port, lorsque les cordes s’allongent, fait miroiter en fantôme jusque dans ses plus hautes tonalités une mélancolie de fin du cœur.

Denis Boyer

2014-10-31