Kutin – Ivory

Valeot Records
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A l’obligation de déroulement, la musique oppose parfois les illusions dont personne ne peut lui tenir rigueur ; ne défions-nous pas le temps chaque jour … Quelques-uns ont fait de cette immobilité factice le principe de leur composition, des filins monotones aux motifs répétitifs, des boucles aux dissolutions dans le bourdon. Mais, comme dans le paysage, la disparition des contours peut concilier le panorama déroulant et la brume. C’est le chemin qu’a choisi Peter Kutin, dont la musique naît presque exclusivement des cordes de guitare et de leur traitement informatique. Fennesz a fait école et il est malaisé de se débarrasser d’une telle tutelle, quand même on le voudrait. Le travail de Kutin porte assurément cette marque, autant que celle du pionnier de la lumière sans soleil, Brian Eno. Tous les morceaux d’Ivory sont des aubes (même la première partie du morceau Sombre, qui évolue en délaissant bien évidemment la lumière, chargeant les voix de la journée, le chien harassé, la poussière, et jusqu’au piano alors qu’au fond la pluie tombe avec la nuit), des naissances, des captures d’instants encore sous le sommeil, à la façon d’une éclosion dans le temps. La vibration, timide, gagne en ampleur, comme pour sécher ses ailes d’une rosée ankylosante. Alors qu’elle s’étend en vague, les crissements la ponctuent, d’autres sons dénonçant plus nettement la guitare comme source la traversent à la façon d’oiseaux en transit. La lumière tressaille et imprime à l’air (de petits souffles palpitent comme ceux de bêtes fragiles) un premier trouble qui inaugure les mirages que portera le plein soleil. Des dessins, nombreux, des images pleines, mais du temps alangui, comme prêt à concéder au musicien le pieux mensonge d’une pause, au profit surtout de sa peinture sonore, vibrant, même dans les ébauches mélodiques, non dans la verticalité ou l’horizontalité, mais dans le déploiement de l’onde, ou pour mieux dire en empruntant la formule donnée par le label : « in spectrum not in metrum ».

Denis Boyer

2012-12-09