Yannick Franck – Memorabilia

Silken Tofu
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Que souhaite-t-on réellement garder de ses souvenirs, et en quelle mesure la musique peut-elle y aider ? Je crois d’abord, mais c’est sans doute se tromper de sens, je n’hésiterai pas à rebrousser chemin dans un instant, je crois d’abord que, peut-être à un degré moindre que l’odorat mais assez puissamment tout de même, la réécoute d’une musique stimule des images ou des contextes qui ont accompagné sa première découverte, ou un autre passage, pourvu que ladite musique ait pris une part importante, consciente ou non, à l’impression globale. Mais voilà, ce que je crois plus encore, c’est que la musique peut éveiller des sentiments mêlés, apparentés à une mémoire reconstituée, y compris une musique que l’on n’a jusque alors jamais entendue. La musique a ce pouvoir, et plus particulièrement le type de tissage bourdonnant auquel Yannick Franck apporte sa fibre. C’est une musique d’éveil au paysage, un fluide qui, si l’on n’aperçoit pas sa source, charrie ce qu’il a décollé des fonds d’un esprit encore rétif au langage. Pourvu qu’il le reste, la musique n’en garde que plus de pouvoir, et je sais qu’à chaque tentative de cette sorte, chaque traduction, j’attente à son charme. Pourtant… ces Memorabilia ouvrent les mêmes tiroirs que la poésie des profondeurs. Un ciel de brume, des nuages qui y courent rapidement, en reflet d’un sol qui ne lui dérobe qu’un peu de sa noirceur. L’ocre y domine encore, et ce que l’eau ou le vent pourraient procurer de mouvement dans ce paysage d’un soir arrêté, le rayon du drone l’exprime dans la musique. La ligne est décorée de plusieurs épaisseurs, qu’elles évoquent la lumière mélancolique de Troum, ou les banquises de Thomas Köner ; elle se courbe, s’augmente de souffles, remonte jusqu’au sol ces alluvions qu’elle a décollées. Ailleurs (sur le deuxième morceau), le relief apparaît, cordes et fantômes de percussions. En bordure, contrefaisant des chants éthérés, les fréquences ondoient à la manière de l’air chaud dans l’été. Voilà autant de souvenirs feints, ou plutôt portés par la musique. Ce sont les dessins de fond, les coups de pinceau les plus larges. Le détail y abonde aussi, tout aussi abstrait dans sa forme (répétons-le, en dehors du deuxième morceau, l’harmonie l’emporte toujours sur le rythme, et la mélodie est absente), résonances métalliques, aqueuses, filins grondants, réverbérations lumineuses, mais ce sont tout autant de détails orchestrés avec délicatesse, cousus sur la trame, donnant au décor de ces paysages recréés le creux et le saillant, le point et la crête, que l’esprit happé par tant de belle mélancolie finit d’inscrire au registre des émotions retrouvées.

Denis Boyer

2012-07-13