Voice Of Eye – Anthology Two 1992-1996 (2CD)

Transgredient
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C’est la première fois que Stefen Knappe publie un autre groupe que le sien, Troum, sur son label Transgredient. Ce choix constitue sans doute, sinon une reconnaissance d’influence, du moins celle d’une proximité assez forte pour être comprise à certains égards comme une communauté de style. Considérer rétrospectivement la musique de Voice Of Eye par cette anthologie, et loin des essais heavenly voices plutôt décevants que le duo américain a récemment tentés, cela permettra se saisir le moment d’apparition (en même temps que chez Maeror Tri, l’incarnation précédente de Troum), d’une musique ambiante qui a assimilé ses influences industrielles d’une part et planantes de l’autre, pour s’inventer un nouveau langage dramatique et paysagiste. Les morceaux de cette deuxième anthologie (la première a été publié par Vinyl On Demand) sont pour la plupart rares ou inédits, ce qui la rend indispensable aux passionnés de Voice Of Eye. On entend, sur cette période charnière du milieu des années 90, le cortège d’ondes ambiantes qui assument pleinement leur charge affective, autant que leur noirceur. Comment, dans ce cas, ne pas la qualifier de romantique ? Les diverses influences, de Zoviet*France à Paul Schütze, répondent à cet appel, qu’il s’agisse de rythmes lointains comme une pluie qui se serait faite ligneuse, des torsions de basses d’un métal présentant les mêmes aberrations organiques, ou encore du déploiement horizontal du drone, plus anonyme, ample comme une respiration de léviathan. L’instrumentation ne se laisse pas dominer par le synthétique, elle est pour l’essentiel constituée d’instruments divers déjà existants, et d’autres créés par le duo, en fonction des besoins. Faut-il une naissance lumineuse, un crépitement insectoïde, une lente spirale onirique, un tournoiement folié… Si l’on peut réduire ces quatre années survolées par le double CD, la variété des morceaux et de leurs destinations, on constate que l’identité de Voice Of Eye tient dans chacun. Partout, ce mouvement circulaire, l’essor, à l’image de la corolle qui se défripe, d’une vague évoquant parfois la voix, déjà agglomérée en faisceau de lumière, réduisant le ton au point d’inaugurer le drone. C’est également la redéfinition du psychédélisme en musique, une volonté psychotrope, rythmée ou non, partagée par Maeror Tri et Troum, jouant pour cela d’un expressionnisme brouillé, un drame sans mot, une perte d’équilibre sans abandon d’aucune surface. Et encore les flux et les reflux, pareils aux respirations de l’organisme, particulièrement du plus triste, qui, quoique tenté par la luxuriance, à chaque souffle craint (ou espère) l’irréversible apnée.

Denis Boyer

2011-08-14