Bad Sector – Raw data / Final Cut – Ballade de bruits / d’incise – Arpenter / Encomiast – Malpais


taâlem
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La collection « alm », CDs de format 3’’ du label taâlem, est devenue une vitrine des musiques bourdonnantes comparable à la série de 7’’ EP du label allemand Drone Records. Elles ont en commun, telles des anthologies en constante édification, l’adhésion d’artistes les plus représentatifs d’un style abstrait qui se développe aux frontières de la figuration, et ce sur un format relativement court, forçant à la concentration des gestes et des textures. Parmi les derniers CDs sortis, celui de Bad Sector qui a désormais la place d’un maître dans le collège de ces compositeurs. Ses réalisations empruntant autant au dark ambient qu’à la musique industrielle ont pris valeur de modèle, dans leur équilibre et leur lumière, d’un bleu nuit. Raw data pourtant semble orienté, c’est un disque en façon de catalogue, sur lequel les agrégats sonores sont passés en revue, au détriment de l’étirement et de la texture. Le parallèle avec Brume semble alors évident, lorsque Christian Renou n’avait pas encore assagi ses images, qu’il festonnait le bouillon de son flux musical d’innombrables dialogues analogiques. Ici, les pièces de ce petit format crépitent, sifflent, s’accidentent, explorent les interfaces synthétiques les plus modernes et arborent des sonorités vintage. Raw data est un disque d’expériences, plus que de composition, suite d’instantanés pris au cœur de l’atelier, tels que les a voulus Massimo Magrini alias Bad Sector. La Ballade de bruits de Final Cut, si elle s’inaugure de manière aussi troublée, développe une structure plus panoramique, à défaut d’être réellement narrative. Cette ballade sonne presque comme une balade, celle qu’un train de nuit, dans le brouillard, abîmé d’écho, pourrait proposer, sans garantie de retour. Car il s’agit bien d’une musique d’angoisse, tant elle se construit sur l’allongement de la réverbération métallique, de ses roulements, de l’envol de ses grains. Ceux-ci sont-ils chauffés ou simplement chassés par l’air, ils s’élèvent de même, finissant par occuper le devant de la scène, qui devient superbe. La seconde pièce du disque, tout aussi métallisée, paraît moins inquiète, dessinant le cercle de l’introspection transcendantale. Les dessins du vase qui se forme ainsi, rayures de passage ou sinuosités plus profondes, mettent en train le fredonnement, le sinus d’harmoniques et son cortège de mirages mélodiques. La mesure trouvée, le bourdon reste suspendu, comme insensible au temps, n’étaient les points de corrosion que déjà dardent les lumières orangées. Dans un autre tour, se façonne Arpenter, EP réalisé par D’incise. Lentement, comme à la suite d’un mouvement sans âge, le chant métallique forme tapis, entremêlant des sons crépitant, rampant, soufflant, résonnant, pris de divers enregistrements de terrain. Ceux mis en scène au cœur de la première pièce, La demeure, ont été captés dans un hôpital désaffecté, en Pologne. L’anecdote ajoute indubitablement à l’étrangeté de cette musique arrêtée dans le gris, son aspect dramatique s’accroît, mais elle porte déjà l’inquiétude, illustrée techniquement par cette frontière mouvante entre le drone et l’électroacoustique. Et si la deuxième pièce du EP, Aller s’étendre sur la rive, se laisse plus souvent tirer du deuxième côté, elle garde pourtant, comme dans les plus récents travaux de Thomas Köner (ne serait-ce que par les fantômes très lointains de chants religieux), une dynamique de brume, je veux dire cette capacité de dissoudre les contours de la forme sans l’abolir tout à fait. L’altération de la forme, voire sa dégradation, constitue sans doute le propre d’un nombre de musiciens de plus en plus grand, dans une approche post-moderniste se niant elle-même, faisant de l’existant sonore sa matière, mais pariant sur la révélation d’une image nouvelle. On se rappelle l’excellent Breizhiselad d’Éric Cordier (sur Erewhon), travail autour d’un vieux vinyle de musique folklorique. Le disque Malpais d’Encomiast (formation désormais réduite au seul Ross Hagen) est lui aussi construit sur la manipulation d’une vieille chanson folk. Totalement méconnaissable naturellement. Les harmoniques choisis, ralentis, traités, et manipulés d’une manière qui appartient à l’artiste, deviennent drones colorés, constellation de matières organisées à la façon dont les meubles d’une maison finissent par en devenir les pièces à l’intérieur des pièces. La même animation fractale se développe ici, poussant le vent métallique depuis un profond couloir, charriant les ondulations qui subsistent, dernières traces du geste sur l’instrument. La lumière, toujours lointaine, n’est pour autant jamais absente, suggérée par ces traînées de cordes qui s’effilochent, une brume radieuse reprise par le souffle frigorifié d’un blanc jaunâtre. Tant de mouvements entrelacés, dans une même tresse dronique, constituent ce tour de force d’une assimilation en manière de restauration de la vibration primordiale, jusqu’à laisser planer le fantôme d’une mélodie à venir.

Denis Boyer

2011-08-14