Wild Shores – Illusion of movement

M-Tronic
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Illusion of movement est un album attendu depuis des années, et les morceaux qui le composent ont été enregistrés entre 1996 et 1998. Comment, avec ou sans lui, décrire totalement l’univers de Wild Shores ? Cet album confirme qu’il n’est pas possible de le faire sans scinder la musique du trio en deux grands hémisphères. L’un, ambient et profond, à entendre sur Instant music et Optophonia, et l’autre, bien plus rythmique et lyrique, illustré par Homo habilis et cet album, sorti des abysses, Illusion of movement. Le titre, en lui-même, est à prendre comme la profession de foi de ce collectif d’artistes, dépassant le groupe de musiciens, une maxime renvoyant à la magie du cinéma, et plus encore à celle du fonctionnement de notre vue. Seuls ou en collaboration comme ici avec le complice Servovalve pour la partie Rom, ils ont souvent manœuvré les images dans ce qu’elles ont de plus squelettique, comme pour parvenir à leur irréductible part d’animation. L’effet Marey comme ange gardien. Quelle que soit l’origine du nom de la formation, peut-être le titre d’un livre de science-fiction par Stanley Robinson, il est murmuré dans la chanson ouvrant le disque, Barefeet, qui sonne d’autant plus comme un manifeste, et dont la conception électronique bouclée contraste avec la mélancolie naturaliste (géopoétique ?) de ses mélodies et l’image de la marche qui y est chantée. Comme si William Gibson et Kenneth White (dont le nom est salué à l’intérieur du boîtier) étaient un instant – et virtuellement – invités à partager une même atmosphère. C’est sans doute là le charme et le paradoxe de Wild Shores, et aussi cette identité irréductible que nous cherchions au début de ces lignes. Les autres titres du disque, qu’il s’agisse de reprises (Coming down de Daniel Ash, Requiem pour un con de Serge Gainsbourg) ou des compositions du trio, participent du même équilibre, une allure presque envolée sur un tapis de rythmes escarpés, de basses bouclées, de sophistications rutilantes et plastifiées, mais aussi de roucoulements numériques, empruntant ou voisinant les esthétiques de Meat Beat Manifesto et The Young Gods, les rendant à la vague tiède d’une torpeur active, finissant l’ensorcellement d’une lumière filtrant à travers le feuillage. Les formes et les pulsations de Wild Shores, le grain même, ont pris leur définition ici, on s’en persuade jusque dans les morceaux plus abstraits publiés par la suite, en puisant dans ce sol primordial, mouvant et chaloupé, insaisissable mixte d’eau et de sable.

Denis Boyer

2010-12-20