FurudateTetsuo – Wozzeck

Menstrual Recordings
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On sait que Tetsuo Furudate conçoit le plus souvent sa musique comme écho à une œuvre littéraire. Maurice Blanchot tout d’abord, et bien sûr Shakespeare, Schopenhauer (World As Will avec Karkowski), Emmanuel Levinas (Autrement qu’être) et bientôt nous dit-il, Georges Bataille. Ici, c’est Georg Büchner, écrivain, médecin et révolutionnaire allemand du 19e siècle qui a laissé une pièce, Woyzeck, inachevée (Büchner est mort à vingt-quatre ans). Le drame, atteinte à l’existence comme Furudate sait les apprécier, est l’histoire d’un ancien soldat qui tue sa femme par jalousie. Amour et mort liés, passion résolue dans le néant, c’est le fil d’une musique qui depuis quelques années se fait moins ostensiblement et moins rapidement déchaînée, orageuse. Tetsuo Furudate prend la mesure de tous les souffles depuis celui, coupé, où l’accablement se réfugie. L’enregistrement, réalisé au Podewil de Berlin en 2003, suit cette règle, ou plutôt l’inaugure puisqu’il faut considérer son âge. Les pulsations, le drone court, le crépitement saturé d’une électricité statique refoulée, et c’est toute la machine d’un corps, ou l’organicité d’une machine, qui se déploie, menace de loin en loin puis de proche en proche par le tonnerre magnifique de Furudate, ses résonances de plaques métalliques, mêlées de pluie, d’ondes telluriques, qui font le tremblement de tout côté. Cette bataille des tensions, cette déflagration orchestrée, suit et accompagne le dit des deux acteurs présents sur scène avec le musicien, jouant les deux rôles titres, dans une scansion pesée, parfois fredonnée, marmoréenne, comme celle de personnages qui n’ignorent pas être les jouets du destin intransigeant.

Denis Boyer

2010-12-20