Wooden Veil – s/t

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Déterminer pourquoi des musiques expérimentales ou avant-gardistes font plus souvent appel à la notion de shamanisme constitue le fond d’une enquête à mener. Mais pour l’instant, rassemblons les écoutes et les éventuelles comparaisons. La musique de Wooden Veil est pleinement située dans cette perspective, celle d’une modification profonde de l’être participant et de l’interprétation d’un phénomène. La communication avec les forces d’un autre plan ne sont évidemment plus à l’ordre du jour dans une société athée et rationaliste. Reste la transcendance, l’accès à une modalité d’être essentiellement différente. On a dit, déjà, ailleurs, combien la musique peut porter en elle cette révolution ontologique. L’album de Wooden Veil, collectif d’artistes musiciens – certains ayant travaillé en compagnie de Christoph Heemann, de Merzbow, un autre étant membre de Lustfaust – présente un intérêt certain pour le mouvement du son, un mouvement qui conduit. Stylistiquement, le krautrock y côtoie la no-wave (sa fille), les échos industriels, les tambours du rite, le folk expérimental et la drone music. Tout cela défilant sans rupture, souvent en superposition, dans une continuité paysagère où les vallons calmes prennent l’apparence d’un chant enfantin, de gouttes de métallophone distribuées en pluies proto-mélodiques, les nuées la forme d’un lointain écho de chant funèbre, les pluies et les orages l’aspect de grincements de guitare et de chant endolori évoquant Lydia Lunch, et l’obstacle rocheux l’allure de l’hypnotique martèlement déchiré de Swans. Quant à l’air, à l’herbe, à la patiente hygrométrie de l’invisible atmosphère, il s’agit de ce tissage concret, celui qui fait le bourdon aux mille couleurs de l’automne, de la rouille, chants métalliques mis en boucle, étirement boisé sans fin, vibration courte d’une respiration souterraine. Pour une oreille non avertie, gageons que cela constitue une expérience hautement déstabilisante et potentiellement séduisante. Quant à ceux qui pratiquent l’avant-garde musicale quotidiennement, je n’ai jamais entendu qu’on se soit lassé du récit de voyage du shaman. Celui-ci a l’attrait, l’immense beauté d’un paysage sonore fédérateur, où les climats rythmiques, mélodiques et harmoniques, figurent ceux d’une planète musicale presque entière.

Denis Boyer

2010-01-18