Ruhlmann Mathieu – Tsukubai / Funayūrei

Unfathomless / Mystery Sea
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Faire d’un paysage sonore le reflet d’un paysage tout court est un vieux rêve. Il s’exerce même de manière répétée chez certains musiciens. Le label frère de Mystery Sea, Unfathomless, en a fait son objectif. Pour l’inaugurer, c’est un CD de Mathieu Ruhlmann (qu’on a pu entendre sur les labels taâlem, Spekk, Afe Records…), complété par un CDr. L’un comme l’autre portent une représentation du « Nitobe memorial garden » à Vancouver. Le propre de ce genre de travail est la redéfinition complète du temps. Qu’il figure un déroulement ou, au contraire, qu’il mime l’éternité, il élabore dans son déroulement musical, une temporalité qui est le propre de l’œuvre. Le paysage s’en trouve donc redéfini, au moins autant que par l’absence évidente de tout ce qui ne relève pas de la matière sonore. Si cette dernière remarque est aussi valable pour l’unicité visuelle de la peinture, la musique, répétons-le, a comme particularité intrinsèque de rebâtir à un temps à soi. Contre toute attente, Tsukubai ressemble à un atelier en ce sens que tous les sons y bouillonnent de conserve, dans une recréation synesthésique qui fait le vent et le cliquetis de même échelle, le clapotis aussi « céleste » que les chants d’oiseaux. Cette prépondérance spatiale de l’eau n’est pas un hasard, elle témoigne de la principale prise de son de Mathieu Ruhlmann, pratiquée par hydrophone. La plupart des sons rendus ici ont été récupérés via le filtre de l’eau, transférés dans l’élément aqueux. Un jardin « entendu » de ses mares et citernes se trouve nécessairement ramassé dans l’espace, tous les sons se rejoignant dans un même périmètre dès l’enregistrement. Texture et temporalité sont donc soigneusement étudiées ici pour participer au tissage d’une toile sonore, reconstitution d’événements, flux organique dont la transfiguration se produit dans le CDr Funayūrei. C’est le pendant romantique et proto-mélodique, purement ambient, de Tsukubai, en récupérant les matrices sonores pour cette fois privilégier la tension lumineuse, l’allongement des harmoniques, l’étirement de la brume, le chant sans voix et la pulsation devinée sans rythme. Les deux démarches n’ont rien d’inédit, et l’on pourrait facilement comparer ces travaux à ceux de Jgrzinich ou Mnortham. Mais, à leur différence, Mathieu Ruhlmann a tenté, et réussi, la séparation de la musicalité du lieu, et l’interprétation musicale du lieu, ce que lui-même et d’autres musiciens mêlent ordinairement. Ce projet est en quelque sorte une leçon d’élaboration, de discipline aussi, qui assure une apparente distance entre l’assemblage méticuleux et le jeu de l’émotion.

Denis Boyer

2010-01-18