Baker Keef – Pen fifteen (2CD)

Hymen Records
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L’éclectisme musical de Keef Baker l’a déjà mené sur ces terrains colorés où l’acoustique et l’électronique ne sont plus que de pratiques dénominations, sans grand pouvoir de circonscription. Post-jazz, rythmes hop, pluies de mélodies cristallines, contribuent par exemple au fonds d’un de ses précédents enregistrements, Pure language. Le nouvel album, double, se montre sur son deuxième CD Light city, fidèle au tissage habituel de Keef Baker, où se mêlent différentes déclinaisons rythmiques de ses breakbeats et de leurs organes mélodiques. Peu étonnant, mais compact, ce disque concept décline l’electronica appesantie des émules de Black Lung. Bien meilleur que la plupart des derniers disques de David Thrussell, Light city ne sacrifie que rarement à sa colonne rythmique. Le cas du premier CD, Pen fifteen, est plus intéressant encore, où Keef Baker a enrichi le paysage, en particulier d’une dimension rock qui n’apparaissait pas si marquée dans cet univers qu’il fallait bien, faute de mieux, qualifier d’IDM. Pen fifteen montre la grande impression que l’écoute des disques de Jesu a pu produire sur Keef Baker. Il débute dans ce dosage paradoxal de densité et d’évanescence, alimenté de nappes, de guitares simples et espacées, répercutées en delay, de basses titanesques et de boîtes à rythmes assorties, de voix fredonnée et légèrement vocodée avec autant de mélancolie que l’instrumentation le suggère – cet alliage de cold wave et de doom metal que Justin Broadrick incarne désormais. Le style est assumé ici, quasi-soumission au modèle de l’ancien leader de Godflesh. Pourtant, peu à peu, quelques notes plus ouatées sont saupoudrées, criblant la lumière jusqu’à atteindre un jaune d’intérieur, de crépuscule toujours, mais boisé par une marqueterie couverte. Le piano parvient à autant de sophistication, touche singulière à l’interprétation. Car il y a des infiltrations plus personnelles, toujours accordées à l’exercice. Ailleurs, l’écart se fait sur le rythme, transportant la pesanteur froide dans le cycle scornien des breakbeats, évoquant pour quelques minutes la rencontre de Scorn et Godflesh que l’on aurait espérée il y a quelques années. Ainsi, au gré des morceaux, des libertés de piano, des vissages synthétiques greffés aux nappes, des travaux de torsion du couple rythmique boîte / basse, des déploiements mélodiques déplacent encore la mélancolie vers le salon, tout en conservant étrangement cette atmosphère automnale que la forme entraîne : comme si la lande effeuillée s’était accrochée en tableau.

Denis Boyer

2009-09-24