Stelzer Howard – Bond inlets

Intransitive Recordings / Metamkine
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Pourquoi cette profonde mélancolie qui participe à chaque instant du disque de Howard Stelzer, jusque dans les plus abstraits de cette oeuvre très abstraite ? D’où vient cette expression dans une forme si éloignée de l’expressionnisme ? Peut-être – certainement – du regard profondément introspectif que Stelzer a dû porter sur son propre travail pour l’occasion. Artisan de la manipulation de bandes, de field recordings, il restait en profond désaccord avec la forme qu’avait prise l’un de ses précédents disques. A la manière dont on récrit une nouvelle, un livre entier parfois, il a repris ses sources et son projet. Les années, l’esthétique du monde, celle que les yeux perçoivent et celle que les yeux imposent, ont redessiné l’œuvre musicale. Ne connaissant pas le travail original, on ne peut que constater la puissance d’évocation de cette nouvelle version, ce pourquoi il était indispensable, exceptionnellement, d’en rapporter les circonstances d’élaboration. Pour l’essentiel, ce disque ne rappelle pas les outils qui l’ont élaboré, et c’est heureux car il laisse une écoute concentrée sur la texture et son geste, et le fluide mélancolique qui en coule aussitôt. Pour l’exemple, afin d’apercevoir le fantôme mélodique d’ouverture, on se fraie un passage dans la conversation des bruits rapportés, qui déjà s’équilibrent comme les marques d’un environnement. Souffles, crissements, drones épais et filandreux, percussions de lointaine filiation industrielle, forment un tapis doucement mouvant, affleurement de glissement magmatique. Ce beau bouillonnement (jusqu’au vrombissement tellurique et au grondement orageux) est déjà un accomplissement en soi, une récompense pour le bâtisseur. Mais à la manière de celui qui est maître d’œuvre – qui conçoit un sain orgueil dans sa création – Stelzer marque et griffe le manteau bourdonnant en l’ornant de loin en loin. Pour cela, il choisit chaque fois une ébauche mélodique, une discrète distinction qui rappelle sa valeur artistique, intentionnelle, atteste la réussite pour celui qui signe, et baigne celui qui écoute d’un halo là où la grisaille uniquement était promise. La mélodie ne s’y substitue pas, elle ne polit pas la surface rocailleuse. Elle la grave et s’y ajoute à la manière de ces anciennes inscriptions qui font l’archéologue aussi sceptique et rêveur que le profane.

Denis Boyer

2009-02-22