V / A – Sacral symphony

EE Tapes
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Des nombreuses séries de compilations qui ont été publiées par le label EE Tapes (Ambient intimacy, Walls are whispering, Table for 6 : all quiet?…), aucune n’a, en dépit la beauté de la plupart des compositions, jamais été pensée avec une telle cohérence interne. Cette nouvelle série (mais s’agit-il vraiment du départ d’une série ?), se pose autour du thème du sacré (et, en filigrane, de la Russie !), illustré par des sons pleins, des fixations épaisses d’harmoniques. Dans ces conditions, la présence d’anciens membres de Maeror Tri était plus qu’attendue. Ainsi, le disque s’ouvre avec une longue pièce de 1000 Schoen et se poursuit avec une autre par Troum. 1000 Schoen alias Helge Siehl fait naître, à la façon dont procédaient Tangerine Dream et Klaus Schulze, une sorte de mantra issu de sons effilochés qui s’assemblent peu à peu en fuseau. Ce sont des cordes, des orgues, de petites lumières métalliques qui, tournoyant, font apparaître dans leur sillage en spirale de fragiles ondulations cosmiques. Tout aussi prospectif, le morceau de Troum, dédié comme il se doit à « l’intouchable » (voir la série de 10’’ sur Substantia Innominata / Drone), immerge d’un étang d’encre, perturbe sa surface pour à son tour en ramasser les ondes circulaires et s’en charger, faire virer le noir au bleu, se gorger du reflet et décliner l’épaisse nappe comme le ferait un orgue sous-marin, naviguer aux étoiles en suivant la traîne mélancolique du fragile harmonique orangé qui ne fait qu’un cheveu dans le ciel nocturne : Troum, désormais maîtres du genre. Ils sont suivis d’un de leurs plus fameux et méritants épigones, le Russe Evgeny Voronovski alias Cisfinitum, qui a compilé et mixé le disque tout entier. Sa pièce, centrale, intitulée Autumn ritual, déploie des vagues de profonde tristesse synthétique, belle à couper le souffle, évocatrices de Troum et de Thomas Köner aussi, tant la glace dans d’insensibles soufflements semble recouvrir les voiles de changements mélodiques. Avec First Human Ferro, qui conclut l’album, Cisfinitum représente la partie réellement russe du disque, le dernier préférant les miroitements plus aériens et les jeux de réverbération proto-mélodiques de vibrations plus claires, et même lumineuses. Mais la quatrième et avant-dernière pièce, One last breath, est aussi profondément pénétrée de gestes slaves : Rapoon, figure tutélaire de cette scène, a utilisé principalement pour sources des chœurs de chants russes. Les fines séquences, retraitées en épaisses tranches lumineuses, portent dans leur construction la puissance de réverbération de la cathédrale, le vrombissement qui couve, comme certaines pièces de Gorecki ou d’Arvo Pärt ont pu les faire monter. Il s’agit de Rapoon pur, cette présence démiurgique invisible, planante, chant vaporisé tandis que gronde l’infrabasse qui habite chaque atome du monde en déroulement. Symbolique peut-être plus que tout autre de cette symphonie sacrée visée par l’assemblage. Un sacré d’avant la religion, d’avant l’homme, une symphonie romantique d’une nature toute puissante, mélancolie d’avant quiconque pour en être triste, absence d’une absence, retour platonique d’une essence.

Denis Boyer

2009-02-22