Namblard Marc – Chants of frozen lakes

Kalerne / Atelier Hui-Kan
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Pour l’aspect, chacun s’entend à trouver dans la peinture informelle l’écho de postures et de galbes que la nature a su imposer depuis son implacable réseau mécanique jusqu’aux dessins qu’elle donne à admirer en façon de résultats. Il faudra encore longtemps pour que le public admette le même système de résonances dans l’art sonore abstrait – il faudrait même déjà que celui-ci vienne à portée de celui-là. Et pourtant, des travaux comme celui de Marc Namblard marquent des lignes de passage à la manière des courbes de niveaux sur la carte que le randonneur emporte avec lui. Dans le cas présent, il a capté et placé en composition des sons issus de vibrations dues à la tension qui joue dans les plaques de glace à la surface d’un lac gelé. Pour le tableau, les chants de corvidés, au loin, placent le babillage glacé dans un paysage, ils l’entourent, le survolent plutôt parce que le dessous aqueux lui fera caisse de résonance. Cette eau est donc installée, entourée, finie et fait partie d’une vaste désolation. Dans cette apparente torpeur, le mouvement ne cède jamais vraiment et ces chants de lac glacé en sont une expression singulière. Il s’agit en l’occurrence de sifflements, de cinglements, les uns lointains, les autres plus proches, articulés comme pour se répondre. Parfois le concert s’emballe et le jeu de la glace se fait tumulte, comme dans un élan nostalgique des flots rageurs du torrent qui ont alimenté le lac en d’autres saisons. Car il faut être clair, et je l’ai dit en d’autres circonstances, heureux désormais qu’un tel disque vienne en apporter l’illustration littérale : de tels mouvements ne se déclenchent que lorsque la glace craque. C’est-à-dire qu’elle devient éloquente, qu’elle s’exprime et joue son chant dès qu’elle se défait de son immanence. Il faut bien que la glace se réchauffe pour accéder à la voix, il faut bien qu’un absolu cesse de l’être pour accéder au statut d’art. Car l’absolu intouché ne s’exprime pas. Profitant d’un tel moment de passage, car cet état, réversible en hiver on en convient, n’est que l’amorce d’une transformation qui signe la fin de la glace, profitant d’un tel événement donc, Marc Namblard a tenu à rendre compte de son émerveillement devant le naturel expressif, selon notre oreille, en assemblant sans les retoucher divers enregistrements réalisés durant une même journée. Il apparaît, honnêtement, que très rarement le chant des fulgurances se fait émouvant. Il l’est un peu plus lorsqu’il s’accompagne de croassements et de l’effondrement des gaines de gel qui couvraient la végétation environnante. Ce qui est définitivement touchant en revanche, c’est le dessin percussif qu’adopte l’eau gelée en ces moments, un dessin primordial, oui, une visualisation du réseau de craquellements, de micro-fissures, qui exprime ici une contrepartie acoustique déjà sculptée par le travail du musicien, mettant à disposition esthétique une merveille naturelle. Marc Namblard a découvert, amplifié, traduit des motifs acoustiques naturels préfigurant de manière troublante une organisation musicale. Cette symphonie de craquements, habituellement inaudible, Namblard fait donc plus que la rapporter, il fait un pas plus loin, il la dévoile.

Denis Boyer

2009-02-22