KTL – IV

Editions Mego – La Baleine
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Il convient tout d’abord de ne pas courir rejoindre les hordes qui hurlent au génie, devant ce disque en particulier, comme elles le font devant Sunn O))) généralement. J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer à quel point la formation de Stephen O’Malley me semble surestimée, C’est un mouvement général, renforcé par ceux qui ont peur de ne pas en faire partie ! Mais il se trouvera bien, un jour, un enfant pour dire que l’empereur est nu… Hors cela, il faut aussi affirmer que la qualité des disques de KTL est autrement supérieure, toute considération de style mise à part. KTL est un duo constitué de Stephen O’Malley et de Peter Rehberg (alias Pita), label manager de Mego. Les deux premiers disques de KTL, le deuxième surtout, étaient de très beaux exercices dark ambient noise dont la lumière fuyait parfois, aussi épaisse qu’un bain de si haute densité pouvait la rendre, une lumière tranchante et lourde. Ce quatrième volume du duo introduit la cadence, voire le rythme. Les sons gris sont de manière revendiquée débiteurs de Cabaret Voltaire et Swans, et ils en tentent le balancement. Fuites métalliques, saillies de drones chauffés au rouge, s’accrochent en mèche au long flagelle autour d’un roulis lent et lourd. C’est ici que l’on pâtit de l’attente parfois. Prenant le parti de la répétitivité, le duo ne parvient pas toujours à la pousser soit vers une mécanique hypnotique, de délestage temporel, soit vers une plage insensiblement évolutive. Pour cela il faudrait que par-dessus la rudesse héroïque des sons s’élèvent des vapeurs plus libres, affranchies de la pesanteur et de leur propre boucle, et tirant le lourd navire vers son avenir. En de longues minutes on accepte donc de ne pas se laisser emmener ni surprendre, ni même de se laisser déposséder de l’emprise du temps. A matière sensiblement égale, on n’obtient ni la masse du Dépeupleur de Karkowski / Toeplitz, ni la symphonie apocalyptique de Tetsuo Furudate. Pourtant, l’écoute n’apporte pas l’ennui, elle force l’attention sur la texture, qui reste brute. Lorsque la modification se produit, elle est angle, bifurcation presque, mais pas virage : le métal n’a pas encore été assez chauffé, assez rougi, pour devenir ductile. Alors revenir sur la texture, l’admirer : le vrombissement, au cœur de la machine qui n’a déjà plus de forme, et le sifflement de cordes, enlaçant comme un serpent ce cœur chaud, évoquant tantôt Psychic TV, tantôt Skullflower. Ailleurs c’est l’orgue synthétique qui montre le chemin, monotone, et semé de fantômes de cordes, de percussions bienvenues, un chemin dont on sait qu’il ne mène nulle part. Cette poussée de la racine industrielle a déjà été pratiquée, elle est œuvre de vaillant métallurgiste, qui façonne le plomb. On attend sans doute, pour un prochain volume, que s’opère la transmutation.

Denis Boyer

2009-02-22