Guillet Michel – Without shade

ing-on
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Le cas de Michel Guillet est particulièrement intéressant parmi le nombre de musiciens fouillant le monde des musiques acousmatiques. Christian Zanési ne s’y est pas trompé, qui l’a invité à composer une pièce pour le festival Présences électronique. Guillet, comme nous l’avions remarqué il y a quelques années (Feardrop 12), semble plus que d’autres attiré par la richesse texturale des brouillages et des babillages électroniques, autant que par les échardes d’harmoniques qu’il peut extraire d’instruments acoustiques, dans le but assez clair de les plier dans un rapport de force : dessiner la forme sur une trame informelle. C’est dire qu’il ne « sample » pas la matière, mais qu’il manipule la substance même à qui il laisse toute sève. Pour pousser plus loin une métaphore forestière que nous avions risquée lors de la chronique de son premier disque The end between, disons que son travail n’est pas celui du menuisier qui utilise le bois mort et sec pour assembler un meuble, mais celui d’un sorcier qui, en forêt, contraindrait les arbres encore en sol à suivre mouvement, forme et entrelacement de son invention. Cette orchestration joue sur la qualité miroitante de quelques lames métalliques, l’allongement naturel de certaines nappes pré-droniques, le potentiel méditatif des concentrations d’harmoniques circularisées. Ailleurs, ce sont des bribes de voix semble-t-il, qui servent de liant. Durant toute la première pièce du disque, Without shade, celle que Zanési avait commandée, on ne connaît pourtant pas le même bonheur d’écoute, le brouillage reprenant parfois ses droits au détriment de la forme, mais c’est alors comme un retour à la terre d’où s’extrait bien vite le fuseau bourdonnant de belles réverbérations, entraînant un cortège d’humidités et de modestes concrétions qui sont autant de signes d’une reconquête de la composition. Ces changements de perspective, depuis la feuillée jusqu’à l’humus, se conjuguent en de fluides descentes puis remontées, on se sent de nouveau porté et, osera-t-on le mot, empli parfois d’une impression de cosmos. Menée à de plus petites dimensions, comme sur la deuxième pièce Events, cette contemplation rappelle donc les travaux de Marc Behrens tout autant que les plus ténus essais d’Organum, sans oublier une tradition musicale expérimentale des années 60 à laquelle Guillet apparaît affilié en partie. Tour de force, les circonvolutions sonores prennent acte de la ductilité maximum des matières en jeu – la saturation est minimum – et se résolvent en ré-accordant les sons à leur teneur première ; ils n’ont répétons-le, jamais été détachés de leur jaillissement : les reflets d’harmoniques portent, les vrombissements et accidents ponctuent ou croissent, se répondent et reprennent place dans la sylve de sa musique, comme la feuille dans la forêt, comme la goutte dans l’étang.

Denis Boyer

2009-02-22