Wild Shores – Optophonia

Optical Sound
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On a peut-être trop considéré les trois musiciens de Wild Shores principalement comme un groupe de scène, de performance artistique sachant allier une pop électro élégante, sensuelle, à la délicate hypnose du travail vidéo qu’ils accompagnent ou par lequel ils sont accompagnés – Servovalve étant le collaborateur le plus fréquent. Alors, la musique de Wild Shores s’enfuit, avec uniquement deux albums jusqu’à maintenant, fort dissemblables. Un premier CD proche de l’esthétique dark ambient de Lustmord et Illusion Of Safety, et l’autre comme sa contrepartie, travail d’électro mélodique, chantée, raffinée et onirique, peut-être l’imprégnation des partenaires de Von Magnet. Des apparitions sur scène donc, des projets de vie artistique à plusieurs où les médias se mêlent – c’était avant tout le but du festival Artooz qu’ils ont animé pendant quelques années à Limoges. Et maintenant grâce à Optical Sound une réunion de plusieurs morceaux, épars mais pourtant saisissants d’unité une fois assemblés. Longues pièces granulaires, elles ont toutes une délicatesse organique dans leur monde de vrombissement électronique, à mi-chemin dirait-on de leurs deux albums mais à l’évidence bien plus proche de l’abstraction du premier. La vie rythmique du deuxième a colonisé leur musique actuelle, sous forme de pulsations d’électro minimale : au cœur du réacteur commenterait Roger Rotor. C’est d’ailleurs Myiase et leur chorégraphie de la galène que le nouveau disque de Wild Shores évoque, et Pan Sonic aussi, dans leurs premières expressions de transition vers la pulsation sèche. Ce magma de rythme soutient de nombreuses épiphanies lumineuses, des naissances mélodiques qui sont si délicates à former et à mener à maturité (il est aussi question pour les musiciens de protoétoiles et la métaphore est équivalente). La première pièce est à cet égard exemplaire, elle occupe la moitié du disque et vit en symbiose avec le texte magnifique écrit et dit par l’écrivain comédien Marc-Henri Lamande. Rimbaud, Lautréamont, Breton résonnent dans sa poésie, formation et déambulation dans un monde et l’extraordinaire acuité sensorielle de celui qui le parcourt (douloureuse dans sa tentative d’appréhension, de situation) : couleurs, pierre, mer, ciel, grotte… « Toutes les routes avaient été jetées comme mercure sur ce lit de marbre, baves d’un escargot curieux et sommaire. Je marchais sur la croûte du monde, sur un couvercle où je sentais en profondeur des poches crevassées qui avaient conservé jalousement le bonheur. » La musique et le texte se nourrissent l’un l’autre : l’un puisant une scansion dans le pouls, l’autre se mouvant avec grâce comme quelque cétacé légendaire au contact des mots chamaniques. Un texte prométhéen, qui distribue les éclairs créateurs et défie la transcendance dans un même mouvement : « La musique est le ciel » dit Lamande, elle est aussi tout au long du disque une mer d’un bleu mélancolique, la mer est le ciel et le ventre pâle des poissons se confond avec la nappe synthétique à peine ondulée par le vent qui illumine le couvercle d’eau. Sur cette eau, des rides régulières troublent le miroir ; les méandres du cerveau n’ont-ils pas le même effet sur la mémoire ? Un bleu dense et fluctuant, pesant et libérateur dans le même temps, paradoxe de la nage en eau profonde, qui garde l’empreinte de cette création d’univers sur les autres morceaux, attestant sa connivence organique avec la dynamique du palpe. Sa lumière tamisée explore un intérieur, une résonance intime, réglée sur le plus primordial des systèmes d’ondes, une formule qui fait de cet album non seulement le meilleur de ceux de Wild Shores, mais qui force aussi à appeler un tel commentaire péremptoire : il s’agit de l’un des plus beaux disques entendus ces derniers mois.

D.B.

2008-03-15