Bass Communion – Loss

Soleilmoon
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Si la disparition d’un être cher est une expérience des plus violente, les jours, les semaines, les mois qui suivent cette perte sont des moments pathétiques de bilan. La perte se réfléchit au double miroir des suggestions passées et des projections avortées. Steven Wilson alias Bass Communion s’est concentré sur ces émanations affectives, sur la postérité du mort dans l’esprit des vivants et sur la trace fantastique que certains imaginent entendre : manifestation vocale sur bande magnétique comme communication post mortem. Wilson s’est déjà exercé à une telle mise en scène sur un précédent album et les appels fantomatiques surgissent ici de loin en loin. Vinyles 78 tours, vibraphone et piano constituent l’essentiel des instruments du disque. Ils laissent filtrer, comme goutte à goutte, de minimales phrases musicales, une distillation de l’affliction. On veille le mort dans un bain de mélancolie comme il se doit, une nappe ocre et fantasmagorique qui déjà appelle le vivant au seuil du pays des morts. Les accords de piano règnent, distribuant leur vibration sourde comme une lumière noire, récupérant dans leur harmonique court les inquiétudes conscientes et inconscientes que tant d’années de composition classique et de films d’effroi ont cultivées. Les quasi-silences qui pavent l’espace entre les notes sont fleuris de la résonance de corde frappée ; liquide elle semble s’étaler comme quelque plante rampante aussitôt arrêtée par l’aridité du milieu. Ou encore, elle est comme la pluie qui coule sinueuse sur le carreau de la fenêtre et disparaît lorsqu’elle en atteint le bâti. Toujours arrêté, toujours recommencé, rappelé, cet écho du piano mélancolique est comme le deuil ou comme la vie. Des notes s’accordent, solidifient leur texture, forment l’ébauche d’une mélodie, et quelques heurts d’arrière-plan, comme des pas aveugles, à leur tour posent l’ambiguïté du souvenir du mort comme redoublement de la vie. Les quelques pages du livret témoignent d’un passé déjà lointain, des photographies de morts reposant entourés de signes de vie attribués à la mort, bouquet de fleurs mortuaires et dernier habit de grande cérémonie. Images paisibles et déstabilisantes à la fois de dépouilles apprêtées et si proches de la vie qu’on leur fait singer en vain – les plus éprouvantes sont certainement celles de très jeunes enfants photographiés au début du 20e siècle. Elles forment la silhouette idéale du mort avec laquelle le vivant apprendra à aménager sa peine, puis à l’imaginer dans le souvenir idéal, un rappel qui peu à peu s’enfuira pour devenir tout imagination, métaphore comme l’est la belle nappe dronique qui s’élève peu à peu, planant, fantomatique, au-dessus du piano plaqué. D.B.

D.B.