James Wyness – stultifera navis

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Mystery Sea
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Dans le premier chapitre de son Histoire de la folie, intitulé Stultifera navis (« La Nef des fous »), Michel Foucault rapporte que l’incessant aller-retour entre l’exclusion et l’inclusion qui a marqué le traitement de la folie depuis l’âge classique, est annoncé par la figure du vaisseau à quoi l’on confie le fou et qui marque tout autant la virtualité d’une renaissance, d’une purification, que la possibilité d’un naufrage, d’une perdition, le risque alourdi de la mort. Aussi bien, Foucault remarque, prenant pour exemple la succession troublante du thème de La Nef des fous (Bosch…) à celui de la Danse Macabre que : « Jusqu’à la seconde moitié du XVe siècle, ou encore un peu au-delà, le thème de la mort règne seul. La fin de l’homme, la fin des temps, ont la figure des pestes et des guerres. […]Et voilà que dans les dernières années du siècle, cette grande inquiétude pivote sur elle-même ; la dérision de la folie prend la relève de la mort et de son sérieux. De la découverte de cette nécessité qui réduisait fatalement l’homme à rien, on est passé à la contemplation méprisante de ce rien qu’est l’existence elle-même. » (Michel Foucault, Histoire de la folie, 10/18, 1964, p.27).
De ce départ de la folie sur l’eau incertaine, James Wyness a construit une pièce qui se veut métaphore de certains aspects de l’existence individuelle ou collective, supposant les joies que connaissaient peut-être ces bannis embarqués, libérés du système social conventionnel qui les aliénait. C’est une musique de fluctuation bien évidemment, où l’on entend encore la charge du métal, qui peut-être maintient par un invisible lien le contact avec la terre ferme. Je préfère y entendre le ballottement d’un appareil où le matériel est autorisé à un certain flottement, libéré de ses entraves. Ailleurs, plus nocturne mais toujours aqueuse, la musique s’apaise et augmente ses potentialités oniriques, elle souffle et tremble comme la surface de l’eau sur laquelle elle glisse. Mais de part en part, sans horizon, la musique s’occupe d’elle-même et de sa proximité, jamais du rivage qu’elle a quitté – jamais elle ne l’observe ni n’en rend compte. À tel point que, après quelques minutes, on ne sait si les gouttelettes, leur flux, le souffle qui les surmonte telle une brume, enserrent le bateau ou le colonisent, jusqu’à l’assimiler. Tout écho retourne à l’eau après en être né vraisemblablement. C’est cet univers amorphe, sans cesse fluctuant qui symbolise l’autarcie du banni de la raison et des hommes. Rejetée de la sédentarité, la musique s’accorde au rythme nomade, se laisse porter, assurée, par la simple évocation de l’éternité et du roulis, de se soustraire à toute sorte d’arrêté. La mort elle-même n’est plus à l’horizon.

Denis Boyer
2015-03-05