Phil Von – Blind Ballet

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Il y a quelque chose d’éminemment paradoxal et aussi de magnifiquement tragique dans un titre tel que Blind Ballet. Ce titre, celui du deuxième album véritablement solo de Phil Von, ce titre exprime toute la tristesse du flamenco, style dont on sait l’empreinte qu’il a laissée sur la musique de son groupe Von Magnet, dans lequel il chante. Mais s’isoler de Von Magnet c’est à vrai dire s’isoler aussi de ce qui en modèle les formes régulières. Et c’est même, dans le cas présent, s’exprimer sans le chant. Alors, repartons du premier indice, de l’instant paradoxal capté, de la frontière mal éclairée qui scinde les choses. Chaque titre, avant même que la musique en soit entendue, semble s’insérer en ce même lieu d’aberration, de mise en danger, un espace où le dernier pas a été franchi dans l’espace tranquille avant que l’inconnu s’offre à la découverte nocturne : chien et loup ?, bleeding caress, wire dancer, without wings… Les musiques nimbées de Phil Von vont alors organiser ces hypothétiques zones de passage entre les contraires. D’un homme aveugle, l’on dit souvent qu’il développe ses autres sens, et particulièrement l’ouïe. Combien j’ai dit, déjà et passionnément, que les musiques informelles où la mélodie ne s’ébauche qu’en fredonnement, où le rythme n’est ressenti que dans le propre corps de l’auditeur, que ces musiques bourdonnantes fournissent le plus riche terreau à la mise en germe du paysage imaginé. Ce disque de Phil Von aurait pu servir de manifeste. Du souffle à la plainte, du tressaillement de corde mélancolique au travail du bois soumis aux rudes tensions du tangage, de la conversation de nuages ocre au murmure de la lumière, l’imaginaire danseur aveugle se figure un environnement tel qu’un Caspar David Friedrich de l’Atlas aurait pu en dévoiler. Les présences, sous formes de voix furtives, sont-elles des réminiscences ou bien des guides bienveillants ? À quel chiffre caché la courbe des cordes éclairées de tintements obéit-elle ? Et les îlots synthétiques promettent-ils la vue recouvrée ou en confirment-ils la caducité ? Savoir que certaines de ces pièces ont été composées pour le théâtre ou la danse ne les y soumet pas, elles sont leur propre théâtre, leur propre et autonome cinéma crépusculaire. Une musique qui se déploie au gré des doigts la palpant afin de mieux la voir, et plaçant au-dessus de l’horizon où musique concrète et electronica mêlent leurs eaux, la vague, le bourdon, et plus haut encore, toujours, l’âme.

Denis Boyer
2015-05-24