Brume – L’Ombilic des rêves

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Si le titre de ce nouvel album de Brume fait directement référence à l’ouvrage L’Ombilic des limbes d’Antonin Artaud, c’est bien plus que pour se permettre un jeu de mots. Le prolongement d’un mode d’expression surréaliste a toujours caractérisé les travaux de Christian Renou sous le nom de Brume, et cet album ne fait pas exception.

Si le rêve – et, partant « le fonctionnement réel de la pensée » – se trouve au cœur de cet album, c’est, suivant les notes de pochette, dans la version cauchemardesque, c’est-à-dire accotée au risque, à l’inquiétude, qui siéent à l’univers de Brume.

Cette musique se veut comme un pendant du rêve, c’est-à-dire, et c’est en cela qu’elle atteint admirablement son but, qu’elle parvient à coudre ensemble des éléments décousus, en une créature composite. Un monstre musical, émouvant cependant, comme put l’être dans le roman de Mary Shelley le semblant d’humain créé par le moderne Prométhée. Un mutant sonore enchaîné à son créateur. Dreams Are Not Free nous dit le cinquième titre de L’Ombilic des rêves, peut-être en hommage au premier disque de Die Bunker, plus certainement pour rappeler que, pas plus que les rêves, la musique expérimentale, teintée d’onirisme, d’industrie, d’orientalisme parfois, ne s’est affranchie de l’inconscient de son créateur.

Aussi bien la signature de Brume, depuis les débuts, c’est cette fascination pour l’agencement des étages décalés, des textures contradictoires, des rythmes bancals et des fredonnements, des fragments de voix et des respirations en vagues. Dans son atelier sonore, les instruments, les synthétiseurs, les bandes, les enregistrements et leur assemblage chirurgical, tout cela est œuvre de maîtrise.

Mais le surréalisme n’est pas la seule avant-garde historique convoquée ici. Au début du XXe siècle, en Italie d’abord, la fascination pour la machine, pour la vitesse et la technologie, ont fait naître le mouvement futuriste. Il est de nouveau utile, à cet égard, d’examiner la méthode de Brume. Christian Renou est, indéniablement, répétons-le, un artisan. Pendant des années, il a travaillé sur des bandes, coupées, collées, puis après beaucoup de méfiance il a intégré à son instrumentarium l’ordinateur, le sampler. La machine sans le geste physique, ou si peu. L’aboutissement futuriste. Est-ce faire si peu de cas de l’accident, du risque ? Non, « La destruction d’une séquence, dans Brume, sert à construire la suivante » nous déclarait Christian Renou en 2002. S’il a un temps mis Brume en pause, travaillé sur une musique plus apaisée, harmonieuse, ambiante, il a repris Brume avec la fougue première. Ici l’accident est assumé, comme dans le rêve, comme dans la machine qui déraille… Le pénultième morceau s’intitule Dead Marinetti, et si cette ballade métallique chaloupée s’entend bien sûr comme un hommage au fondateur du Futurisme, elle s’amuse aussi de la possibilité d’insérer le grain de sable dans la machine : quelques minutes avant, le morceau précédent nous prévenait « La macchina non funziona più! ».

Denis Boyer