Uruk – The Great Central Sun

Ici d’Ailleurs / Mind Travels

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La ville antique d’Uruk passe pour être le berceau de l’urbanisme comme celui de l’écriture. Autant dire la matrice de ce que l’on nomme civilisation.

C’est le nom qu’ont choisi pour leur duo Massimo Pupillo et Thighpaulsandra. Le premier est principalement bassiste mais aussi un multi-instrumentiste dont on ne compte plus les collaborations. Son récent album Our Forgotten Ancestors chez Glacial Movements montre un délicat sens de la mise en scène dramatique dans la musique ambiante. Le nom du second est attaché, plus encore qu’à ceux de Spiritualized ou Julian Cope, à celui de Coil dont il fut un membre éminent lors de la très active deuxième période du groupe, débutant avec Music To Play In the Dark en 1999.

Le quatrième album d’Uruk (deuxième sur Mind Travels), suit la veine que l’on peut qualifier rapidement d’ambient sombre et c’est dans cette couche géologique, archéologique mais aussi cosmique qu’il convient d’observer les variations orchestrées par ces deux musiciens à la formation tant académique qu’expérimentale. Tout d’abord ils ne craignent pas comme le veut le genre de naviguer en musique d’inquiétude. Si le titre de l’album, The Great Central Sun, suggère d’abord la clarté, la pochette tempère cette impression tant le visuel est imprégné d’obscurité par l’explosion solaire figurée. C’est un soleil qui meurt, un rouge qui se noircit comme la braise sur le point de devenir charbon. Un point central, comme le fut Uruk, berceau de la civilisation, et l’on sait que nombre de civilisations ont connu leur crépuscule, leur nuit.

Voilà pour la métaphore. La musique, que je qualifie d’inquiète, se tisse dans cette zone incertaine d’obscurité que l’album Mysterium Coniunctionis dessinait déjà. Pourtant, on y entend plus de variations, différentes en amplitude. La basse bien sûr, mais aussi le mellotron pour les échos cosmiques, qui avec différents synthétiseurs et traitements électroniques constituent l’arsenal du duo. Une impression de calme épopée, presque entropique se déroule d’abord, empruntant des sons de cor rapidement érodés. Ces vagues calmes, et leur retour granuleux qui l’est tout autant, progressent lentement – a-t-on besoin de se presser pour arpenter l’infini ? Car de ce grand point central qu’est le soleil effondré – qu’est la ville d’Uruk –, on aperçoit un horizon sans limite. La musique respire ainsi proche de l’apnée tout au long de la première pièce Per Speculum In Ænigmate. Elle laisse filtrer quelques accidents numériques parfois erratiques jusqu’à des fragments de voix parasites perdus dans l’espace. Mais surtout elle finit par dessiner, toujours avec ses amples sons de cor, un fredonnement mélancolique qui s’est élaboré insensiblement au cours des quinze premières minutes. La deuxième pièce, Radiating Rainbows, ne paraît pas placée ici incidemment. Elle débute dans un drone très lumineux évoquant un chant lointain, bien plus solaire que celui qui arme la pièce précédente, mais à l’instar du Lux Æterna de Ligeti, celle-ci fait de la stratification chorale une matière presque dure, densifiée par le froid de l’espace peut-être. Et les cristallisations cette fois sont bien moins hasardeuses, qui participent à une joaillerie infiltrant peu à peu le fuseau, dont la décroissance figure peut-être la fin de toute chose, du soleil, d’une cité fondatrice, laissant pour toute trace l’irréductible du sacré.

Denis Boyer