Stefan Węgłowski – Smooth Inertia / Aware – Requiem For a Dying Animal

               

Glacial Movements

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Si le label italien Glacial Movements continue après tant d’années de maintenir son catalogue riche en nouvelle références, ceci est autant dû à l’opiniâtreté de son directeur Alessandro Tedeschi illustrant musicalement sa passion pour les univers glacés, polaires, qu’à l’inattendue variété des interprétations des artistes invités.

Ainsi, mettons en regard deux des dernières références, l’une du compositeur polonais Stefan Węgłowski, et l’autre de Aware, pseudonyme de Alexander Glück.

On a beau être prévenu par le cahier des charges du label, par la pochette ensuite (silhouette dans la tempête de neige), l’album Smooth Inertia de Stefan Węgłowski débute dans un panorama a priori plus vernal qu’hivernal. Les lents déploiements d’harmoniques, les ouvertures presque végétales des réverbérations pré-mélodiques s’entendent comme un éveil, à quoi s’ajoute le field recording de chants d’oiseaux. Oui, mais… on sait que les oiseaux peuvent présenter un certain courage à chanter dans le vent glacé, que parfois les premières semaines de printemps réservent des nuits bien froides, que la surface cirée des feuilles peut garder l’empreinte de glace que lui a déposée la nuit et qui disparaîtra au soleil de midi. Smooth Inertia est effectivement un album jouant sur ce moment liminal. C’est un disque, de l’aveu de son compositeur, construit sur l’idée de solitude, et telles sont les touches de piano, les souffles de vagues tremblantes, les tamis de lumière jaune qui, ensemble, forment ce tableau impressionniste de la transition, de l’éblouissement que peut laisser tant le soleil rasant des saisons intermédiaires que l’apparition de la lumière sur la neige (l’épaississement des cordes de guitare sur le morceau Frozen Memory). Et si Stefan Węgłowski compte ici rendre hommage à ses « idoles » Fennesz, Aphex Twin et Ethan Rose, on pense également au Reflection d’Eno.

À l’endroit précis où se termine cet album, on pourrait situer, si l’on consent à filer la succession des saisons, le début de celui d’Aware, sorti quelques semaines plus tard sur le même label.

Cet album, Requiem For a Dying Animal, prend certainement place dans un environnement plus froid, et le morceau d’ouverture, sa vague mélancolique, ses agencements concrets évoquant le craquement de la fameuse empreinte glacée des feuilles, cette fois bien fixée, montrent une fidélité au canon du label. Mais cette esthétique se double, ou plutôt se trouve au service du fameux « mono no aware » japonais, si difficile à traduire – la douce empathie pour la fugacité des phénomènes. Ici elle s’applique particulièrement à la disparition de ce que notre espèce contribue à balayer dans son délire d’expansion, à la façon aussi dont la musique peut donner une consolation.

C’est ainsi que la délicatesse, la crainte peut-être de blesser, habite cet album. Les frêles épanchements d’harmoniques y charrient, surplombés de vagues d’une mélancolie pré-mélodique, toujours ces inserts concrets comme les échos d’une joaillerie de glace, et invoquent d’autres vagues comme des fantômes de voix.

On pense à Richard Chartier, à Steve Roden ou plus encore à Celer. Autant dire que la finesse de ce froid, tout comme celle si différente de Stefan Węgłowski, loin de paralyser le mouvement, l’aide à s’épancher.

Denis Boyer