Galati – Alps

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Toujours, dans son délicat exercice de cordes, Roberto Galati a entretenu l’équilibre entre fixité et éloquence, et sa fascination pour les étendues glacées répond de manière plus que métaphorique à ce geste. Voyageur, arpenteur tant des cordes de guitare que des paysages extrêmes, Galati est dans sa musique aussi maître de lui qu’il doit l’être dans sa marche. Les drones, les vagues, les amplitudes, les boucles et les cheminements pré-mélodiques s’entendent – et se voient, presque – dans ses compositions comme la stase des cordes de guitare. Équilibre donc, entre l’animé et le gelé, fragile posture du fredonnement à travers les lèvres bleuies.

Mais sur la glace se réverbère le soleil et Galati a aussi compris que pour donner voix à l’absolu il faut le corrompre, lui accorder l’accès au monde des phénomènes, l’entraîner dans le mouvement. À cet égard, Alps, sorti très peu de temps après le précédent album Oneiric, marque un pas plus loin, même si Roberto Galati les ressent comme très proches l’un de l’autre : Oneiric est, si l’on consent à l’analogie paysagère que suggèrent toutes les dérives de Galati – musicales, intellectuelles, randonneuses –, un album encore très marqué par le mouvement des profondeurs, les vibrations de l’ombre. Et si la lumière comme sur le morceau White Mantle vient éclairer le jeu et le traitement jusqu’à l’élégance mélodique, c’est parce que le nuage poussé par le vent a dégagé le ciel et que, partant, le soleil s’est projeté sur la surface crénelée, mais le vent souffle encore, qui repousse le nuage suivant et repose la zone d’ombre.

Avec Alps, le ciel s’est totalement dégagé, et jamais le musicien italien n’avait paru aussi mélodique. Ses influences assumées, telles que celle de Labradford, semblent se faire plus évidentes, elles apparaissent sous les réverbérations. Alps débute dans un paysage cold wave, ou plus précisément dans cette apesanteur que créaient par endroits Robin Guthrie et les Cocteau Twins, car guitare, basse, textures synthétiques s’éploient, les unes bouclées les autres se déroulant, comme une fine évaporation. Après celle-ci, toujours aussi lumineuse, c’est la condensation (comme sur le morceau Underneath the Noisy Glacier), héritée de Robert Fripp et comme la pratique aussi le duo Troum.

Il existe ainsi un territoire, celui-ci est montagneux et souvent gelé, par essence, mais cela ne modifie pas sa géologie, dont Galati s’est fait géographe par excellence, c’est celui de la transition exacte entre la texture de cordes et la mélodie. Celle-ci se fredonne en suivant les arpèges et les courtes phrases synthétiques. Une mélodie qui ponctue le complexe écoulement de la glace en faible fusion, son lent mélange à la matière rocheuse ; comme les fleurs des éboulis alpins sur la rocaille.

Le drone de cet album est ainsi bénéficiaire de l’épiphanie lumineuse, de la lente phrase harmonique qui s’élève délicatement, comme au cœur des gazéifications du morceau titre, Alps : la récompense du marcheur comme l’extase de l’auditeur.

 Denis Boyer