bvdub & Netherworld – Equilibrium

Glacial Movements

http://www.glacialmovements.com/

L’empreinte musicale que laisse un artiste peut ressurgir en ondes dont la pseudofréquence défie les lois de la propagation ; celle de l’Italien Netherworld, Alessandro Tedeschi, résonne à la découverte de chacun de ses nouveaux travaux. On goûte sa formule constante, bien que la tournure évolue, celle d’une musique ambiante polaire pré-figurative, émouvante sans être sentimentale.

Netherworld est un projet solitaire qui reste ouvert à la collaboration, Nadja, Oophoi ou Eraldo Bernocchi dans le passé. Cette fois il s’allie à bvdub dont il a déjà publié plusieurs œuvres sur son propre label Glacial Movements.

bvdub, pseudonyme de l’Américain Brock Van Wey, est un projet bien moins isolationniste que Netherworld qui, lui, ne récuserait pas cette étiquette dénoncée par certains il y a plus de vingt ans quand elle a pris trop de place dans les descriptions, mais qui traduit parfaitement le sentiment qui émane de certaines compositions ambiantes, surtout quand elles entendent évoquer les solitudes glacées. bvdub exprime une musique généralement plus organique, plus frontalière de la figuration.

Pour qui est familier de la mélancolie des étendues gelées telles que traduites par le romantisme de Netherworld, certains gestes de l’album Equilibrium pourront surprendre. Il faut bien prendre en compte qu’une telle rencontre est affaire de compromis mais également d’osmose. Quand des voix féminines prennent le devant, dès le premier morceau No Trees for Miles, elles sont tapissées de givre, et c’est, sans négliger le pas mélodique indéniable que prend cet album, une délicatesse technique qui s’accorde à l’esthétique de Netherworld, et du label Glacial Movements plus largement : le chant des glaces. On pense alors, sans le timbre, à ce remarquable équilibre que Sigur Rós a su maintenir sur l’album (). C’est, dans le principe d’une esthétique de l’entropie, voire de la disparition, le beau courage humain –  « sing while you may » pour s’emparer du slogan essentiel d’un groupe qui l’est tout autant. No Trees for Miles est, comme les trois autres morceaux de l’album, long d’une vingtaine de minutes ; et chacun se développe lentement, cheminement sur l’étendue gelée, découvrant mille détails que la vue lointaine de soupçonnait pas. Ce sont quelques circonvolutions et particulièrement l’un des gestes les plus lumineux de la musique ambiante, celui de l’écoulement des fontaines d’harmoniques, principalement traitées depuis les cordes, amplifiant les résonances, gonflant les vibrations pré-mélodiques, tout en laissant un angle ouvert au contrepoint des synthétiseurs qui s’évaporent ensuite comme souffle au soleil. Ailleurs, comme dans Darkness From the Sun, ce souffle naît au ras du sol gelé, discret, à peine relevé, et la vibration qui le surplombe de peu semble dessiner la figure complexe du cristal de neige. Mélancolie encore, évocation d’une solitude ; isolationnisme toujours, bien que fruit d’une rencontre, c’est l’épanouissement d’un nouveau fredonnement, saisissant, comme celui lancé il y a une cinquantaine d’années par Klaus Schulze ou Tangerine Dream, pionniers explorateurs d’un absolu. La musique de la banquise est celle d’un autre cosmos, froid, lointain, fascinant, un nouvel équilibre entre la texture et la forme.

Denis Boyer