B. Bondonneau, L. Marchetti, J.-Y. Bosseur – Le Diable ermite, Augiéras

Casta

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Comme Benjamin Bondonneau avait choisi il y a quelques années de travailler sur la matérialité de la poésie avec l’album Phonolithes, autour des Pierres de Roger Caillois (https://denisboyer-feardrop.blogspot.com/2015/08/normal-0-21-false-false-false-fr-x-none.html), il présente aujourd’hui un travail inspiré par l’écrivain « maudit » que fut François Augiéras, dont l’œuvre n’est pas non plus exempte de matière. C’est plus particulièrement autour de son livre posthume Domme ou l’essai d’occupation que la lecture sonore et musicale du Diable ermite semble élaborée. Pendant plusieurs mois, à Domme dans le Périgord, fuyant la civilisation, celle appesantie par la modernité, le consumérisme, le christianisme, l’incompréhension de la nature, Augiéras a vécu la nuit dans un hospice et le jour dans une caverne puis dans une autre. Et c’est là qu’il s’est employé à construire un monde tenant tout autant du microcosme que d’un voyage vers l’archaïsme.

C’est à l’aide de pierres, bois, orties, cordes, qu’il espérait, de manière pathétique à certains égards, de rebâtir une manière de lien au primordial et d’annoncer un homme nouveau, dont la nouveauté serait précisément l’ancestralité.

La figure du « voyant », au sens rimbaldien, n’est peut-être pas absente de la posture adoptée par Augiéras. Elle n’est pas éloignée non plus de la démarche de Bondonneau qui, aux alentours de la grotte-sanctuaire de l’écrivain, a ramassé divers matériaux, bois brûlés, pierres, totémisés et guidant la composition.

Composition est peut-être un terme insuffisant pour désigner la méthode de cet album, car s’il y a composition elle est triple. Field recordings et clarinette, opérés par Benjamin Bondonneau, ont été confiés à Jean-Yves Bosseur et Lionel Marchetti qui, l’un après l’autre, à force de notations, de partition graphique, de traitements, ont de manière égale participé aux sept peintures sonores. Musique concrète et instruments, délicatement tissés ensemble, assemblent ainsi une sorte de poésie du lieu, un supplément d’âme comme celui d’Augiéras avec ses pierres posées à l’entrée de sa grotte.

Ce sont autant d‘incursions extrêmement imagées bien que toujours discrètes. On y marche, on y crépite, on y entend le concert des oiseaux de sous-bois, on y déverse la poudre, mais aussi on y entend siffler, jouer de la clarinette. C’est un lieu d’images où les éléments ont la plus belle part, l’eau de la Dordogne, le vent parfois, l’effritement de la terre, et le crépitement du feu. Cette musique, concrète pour l’essentiel, est aussi parfois un lieu d’inquiétude comme savait en ménager Varèse, à coup de cuivres élevés puis incisés.

L’apex de Domme ou l’essai d’occupation, avant la conclusion édénique de l’enfant jardinier, c’est l’immense feu de la Saint-Jean d’été – du solstice – qu’Augiéras allume en forme de roue solaire sur le tertre surplombant sa grotte. Bondonneau insiste tout autant sur l’analogie de ses propres visions avec celle du brasier, décrivant Augiéras comme un « forgeron mythologique ». Mais c’est loin de l’incendie dévastateur que la musique de ce disque se déroule ; lorsque le feu paraît, c’est un feu ami, dans quoi se reflètent le drone, la vague d’harmoniques, le pépiement de la clarinette qui profite de l’air chaud pour s’élever jusqu’au ciel. À sa manière, le trio a érigé une musique comme l’un de ces arbres que les mythologies ont contés, reliant la terre et le ciel, la matière et le rêve.

Denis Boyer