Sphyxion – 3

Zoharum

https://zoharum.bandcamp.com/album/3

 

Le temps du rêve qu’explorent inlassablement les jumeaux Charlot au sein de Maninkari se déroule depuis quelques années dans un univers double, Sphyxion, où les boucles de synthétiseurs vintage remplacent les errances de violon et de cymbalum. Cette manifestation électro minimale sait capter d’autres fils oniriques, comme on a pu l’entendre dans les deux premiers albums.

Dans la forme ce numéro 3 ne diffère pas sensiblement des deux premiers albums, il s’agit de flâner autour d’une ossature minimale, et dans ce laboratoire, alors que certaines de ces pastilles, presque des vignettes, se présentent comme des ébauches, d’autres atteignent une forme achevée. Elles parviennent à recréer une pulsation, une oscillation, d’esthétique synthétique 70/80 et qui curieusement n’appelle pas la danse, sauf bien sûr à pratiquer le statik dancin’.

Parfois il semble impossible de dissocier une écoute de l’époque où elle se produit ; encore faut-il que la musique possède assez de cellules sensibles pour colorer de même celui qui la reçoit. C’est le cas ici, pour froides que soient les nappes, les pulsations, pour distants que restent les échos, ils s’harmonisent presque tous de manière organique, et pénètrent doucement l’imagination jusqu’à ajuster le souffle sur leur calme cheminement. Mais plus certainement encore, cette musique entre en résonnance, particulièrement sur certains morceaux (tous ne sont que sobrement numérotés, du 24 au 35) : les 26 et 27, le 30, le 32, le 35 –, avec les tourments qu’impose le monde actuel, qu’ils soient environnementaux, belliqueux, épidémiques, politiques…

Ainsi une profonde mélancolie s’épanche de ces très simples séquences et, franchiraient-elles un cap que leur composition ne leur a pas permis, elles se fredonneraient. Fredonnons la couleur à défaut d’une mélodie, celle que d’autres, des cosmiques allemands aux premiers OMD, avaient déjà imprimées à des corps synthétiques réputés trop gris alors qu’ils s’en sont saisis pour sidérer le bleu.

De l’infiniment vaste à l’étrangement intime, les frères Charlot ont opéré une involution qui rend tout aussi manifeste la capacité d’émouvoir avec le peu et le glacé, de faire vibrer les cils dans le même temps que le séquenceur, de caler sa période de respiration sur le faisceau de néon, de tanguer doucement au gré de la boucle.

 Denis Boyer