Pepe Wismeer – Les Serres Chaudes

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Curieusement c’est peut-être plus aux États-Unis qu’en France que la présence discrète de Pepe Wismeer a été prise en compte. Ce sont en effet les labels Beta-Lactam Ring et Equation Records qui ont permis leurs sorties les plus remarquées. Pourtant ce duo, maintenant trio, est français mais sa musique ne semble rien devoir à un côté de l’Atlantique plus qu’à l’autre. Au contraire, le choix des labels nommés confirme leur intérêt pour une musique – le terme a été usé mais si l’on veut bien le prendre à la lettre, on ne se trompera pas – hybride.

Les Serres Chaudes (titre emprunté au recueil de poèmes de Maurice Maeterlinck) est un album CD qui poursuit l’exploration des chemins de la rêverie, un entrelacs de routes plus ou moins sinueuses, plus ou moins larges, ombragées par les frondaisons d’arbres dont les racines se nomment cold wave, psychédélisme, ambient… d’autres essences rares se laissant reconnaître. Souple comme le scénario du rêve, comme le végétal, cette musique principalement chantée ne fait pas qu’emprunter son titre au recueil de Maeterlinck. Elle abonde en épaisseurs organiques, en moiteurs et en illusions de transparence, que l’on aimerait entendre ceintes d’une production plus luxueuse.

Le clavier, tout d’abord lentement pluvieux avant de se faire textural, pose un socle moussu pour la voix susurrée qui bientôt s’épanche en mélodies ascensionnelles. Les pauses, les bifurcations, jouent avec ce relief en installant dans ces interstices de petits jalons minéraux, des boucles, des samples et inserts concrets. Le paysage onirique est posé, il invite à y pénétrer plus avant, suivant toujours le beau travail mélodique et, il faut l’affirmer dès maintenant, mélancolique. Une langueur à la façon des défunts Red Temple Spirits s’entend dans le chant de Damien Van Lede, alors que sans que le timbre de sa voix s’y apparente, le folk accidenté qu’il gravit croise parfois celui de Martyn Bates.

Claviers, cordes et voix féminines (Anne-Laure Therme et Léa Blaszczynski) mènent plus loin le rêve, jusqu’à des rives lacustres où ils doivent s’accommoder de brumes persistantes. Un orient peut-être, celui que l’on découvre dans les encoignures, entre les boucles vocales distantes, le poème énoncé et l’ovale progression du violoncelle. Les compositions évoluent ainsi en permanence entre le clair et l’obscur, le mélodique et le textural, toutes tendances non pas opposées mais reflétées les unes dans les autres. Souvenirs peut-être, versés dans d’autres souvenirs.

Alors, la lente réverbération du morceau le plus entêtant de l’album, construit autour d’un romantique dialogue de piano et violoncelle (et sonnant comme le fantôme du morceau Despair de Japan), rappelle, et dans son titre – Au Creux des serres chaudes – et dans l’impression presque tangible qu’il laisse sourdre, les motifs de Maeterlinck dans son recueil, une foliation verticale, un bleu à peine discerné, une nuit, quoique tiède et baignée de clarté lunaire, qui réserve encore sa part d’angoisse.

Denis Boyer