Kodak Strophes / Martyn Bates – Post-War Baby

Hive-Arc

https://kodaxstrophes.bandcamp.com/releases

 

Le pseudonyme Kodak Strophes a été imaginé il y a longtemps par Martyn Bates, en marge d’Eyeless in Gaza. Mais ce n’est que récemment qu’il lui a donné forme. Volontairement brumeuse, onirique en profondeur, c’est une musique laboratoire, principalement instrumentale et paysagère, où les échos industriels, les field recordings et les nombreux traitements d’instruments dessinent un tableau tendant vers l’abstrait mais toujours empreint de figures. Du moins c’était sensible sur le premier album, publié en 2020 (http://www.feardrop.net/?p=3046).

Mais aujourd’hui avec Post-War Baby (nous avons tous grandi avec la construction d’un roman familial dont les premières pages à l’évidence ont été écrites avant notre naissance), Martyn Bates irrigue Kodak Strophes d’un bien plus grand lyrisme ; son chant est présent sur tout l’album. De même, l’usage d’instruments plus traditionnels est assumé.

Alors, que reste-t-il de la volonté d’abstraction revendiquée ? Sans doute faut-il regarder avec attention le double dénomination Kodak Strophes / Martyn Bates. Si le premier album avait déjà été publié sous ce nom jumelé, c’était me semble-t-il pour des raisons de repérage (qui connaissait le nom Kodak Strophes ?). Aujourd’hui il faut comprendre que l’artiste souhaite mêler deux tempéraments qui l’habitent. C’est l’alliance de lui-même avec lui-même, comme après que le lait a répandu silencieusement son nuage atomique dans le thé et que les deux sont devenus indissociables.

C’est ainsi que, quoique bien plus près de la frontière, et même pour l’essentiel clairement plantés dans la chanson, tous les morceaux sont travaillés avec un grand souci du traitement, de l’allongement, de la répercussion. Telle phrase de guitare arrête son évolution pour être capturée en boucle, telle frappe de cymbale s’effiloche pour s’allonger et devenir comme une lumière filtrant difficilement à travers les persiennes. Pour l’exemple, sur le morceau Paper Swans, l’introduction fait procéder l’écoute directement d’une rue, bientôt par l’ouverture d’un porche livrée à l’obscurité et, partant, à la déformation des notes.

Loin des plus flamboyantes compositions de Martyn Bates car produit d’un folk égaré dans l’atonal et l’incertain, ce lyrisme onirique, parfois chaud mais souvent intranquille, confirme la maîtrise d’un geste se jouant des figures, des barrières entre abstraction et figuration. Déchirement, scansion, effondrement, marches sur la lande ou l’asphalte, mais aussi fredonnement. Et à bien des égards on retrouve cette capacité de Martyn Bates à faire sourdre l’archaïque qui, sur des plages de bourdons plus informelles et plus mélancoliques encore, celles de Mick Harris, coulait déjà quand il chantait ses Murder Ballads.

Denis Boyer