Norscq – 5 Streams (double LP + 7’’)

Optical Sound

https://optical-sound.bandcamp.com/

Rappeler ici que Jean-Louis Morgère, Norscq, s’est fait d’abord connaître dans le groupe The Grief, c’est se souvenir qu’il n’a jamais reculé devant la manipulation du bizarre.

Rappeler aussi ses nombreuses contributions techniques à Von Magnet, et jusqu’au projet commun avec Phil Von, Atlas Project, sert encore à comprendre les dessins de vagues sur le sable.

Et replonger dans le premier CD solo revendiqué comme tel, Lavatronic, permet enfin de réviser les lignes du code esthétique d’une musique électronique feutrée, aux tons pastel, toujours effrangée mais jamais loin de la mélodie.

5 Streams est un impressionnant double LP, accompagné d’un 45 tours, réédition « deluxe » et augmentée d’un album initialement sorti en 2008 rassemblant des pièces enregistrées et travaillées entre 2002 et 2006. C’est un panorama encore totalement frais et qui, bien qu’assemblant des compositions conçues pour accompagner deux spectacles du metteur en scène Ibrahim Quraishi donnés à Paris et Tokyo, reste totalement autonome.

Je viens de parler de fraîcheur, car jamais un gimmick emprunté à un quelconque mouvement avancé ne vient s’imposer et risquer de se racornir. Pourtant, une esthétique définie éclaire la totalité des pièces, je l’ai aussi évoqué plus haut. À travers les multiples facettes d’une taille sensible, on peut par superposition définir les lignes directrices, un tissu ambiant qui, quoiqu’assez diaphane pour laisser la place au spectacle accompagné, ne perd pas sa substance. Conçu dans un laboratoire où se mêlent souterrainement sons acoustiques, électriques, échantillons et synthétiseurs, c’est toutefois un travail où la surface domine.

Car légèreté et profondeur atteignent au même but, au même instant, les fuseaux synthétiques, les égrènements électroniques comme les phrases de basse et de guitare, faisant de tous les sons une nappe solidaire fluctuant sous la lumière, dans la lumière, s’humidifiant parfois – et c’est alors comme la décomposition prismatique aux abords de la chute d’eau. C’est une musique qui peut aussi, lorsque la lumière tombe, laisser place aux sons crépusculaires, aux invisibles bavardages des insectes nocturnes s’éveillant, ou même à la narration d’une bête falsifiée, le « courte patte » sur le morceau Fauna and Flora.

Avec Norscq, plusieurs musiciens apportent, qui des voix, qui des field recordings, qui des jeux de cordes – parmi eux Denis Frajerman, mais aussi les complices normands de Quattrophage : Olivier Hüe et Nicolas Lelièvre. Mais ce n’est pas d’eux que vient l’accumulation des énergies dispersées lorsque se produit le seul morceau vraiment rock The Man Without A Plan, où semble se libérer le tropisme mélodique et rythmique, dans un beau déhanchement cold wave. Norscq y est seul, joue sa ligne de basse entêtante, chante, se permet de faire alors la figuration, lui-même, sur quelques minutes. L’exercice de densification est répété sur Nature And Paradise, dans une séquence kraut plutôt hypnotique.

On ne pourra pas terminer le survol de cet album presque faussement ambiant sans évoquer le morceau As A Warrior, I Could Have Danced All Night, présent deux fois car emplissant aussi dans une autre version, live, la totalité du 45 tours bonus. Naissant dans l’indifférencié, dans le murmure des sons, il s’organise peu à peu et, tel une cosmogonie, recrée un monde musical oriental jusqu’à convoquer en dernière instance la voix de l’homme, chant sur le sable, dans le vent chaud, mais encore discret, en un mot : à sa place.

 Denis Boyer