MonoB vs NoroE (Marc Caro & Gaël Loison) – Exorganics

Unknown Pleasures Records

https://hivmusic1.bandcamp.com/

 

Marc Caro, (MonoB) connu pour ses créations cinématographiques depuis Le Bunker de la dernière rafale en 1981, puis d’autres films en compagnie de J. P. Jeunet, dont Alien IV… est aussi le designer sonore du Bunker avec sa formation Parazite. Quant à Gaël Loison (NoroE), on ne compte plus ses projets musicaux – pour ma part, c’est Tank qui me vient spontanément à l’esprit – mais il est aussi concepteur de synthétiseurs modulaires.

On ne trouvera pas ici d’exercices purement industriels ni de standards krautrock… mais pour autant ils ne sont pas absents de l’album Exorganics, non, car les tentacules, les palpes sont nombreux et, de la même manière que dans Geins’t Naït, c’est le corps musical complet qui demande attention, pas la forme isolée de ses composants.

Exorganics, comme son nom semble l’indiquer, est un album dont les formes sont rejetées en surface pour laisser couler la texture. C’est dans la tradition d’une musique construite comme une trame sans narration que chacun des morceaux évolue, et après Geins’t Naït c’est un autre musicien français de longue tradition industrielle et kraut qui vient à l’esprit : Brume – aussi bien c’est Christian Renou qui avait assuré le mastering de la bande-son du Bunker par Parazite, lorsque le label Rotorelief l’a publiée en 2013.

Comme GN et Brume, Marc Caro et Gaël Loison n’excluent pas l’expressionnisme, le motif dans le tissage. Des échos presque élégiaques par lesquels on entre dans l’album avec le morceau Neotransferase, on a tôt fait de passer à des résonances métalliques, des enchevêtrements de pilons vissés et de cliquetis qui ne se manifestent qu’ici, en manière de portail des fondations industrielles. Comme un autre pénétra en enfer après s’être égaré dans une forêt obscure, ces deux-là ont aussi mis à profit les climats nocturnes pour s’insinuer sous la peau, par-delà les organes, dans les canaux d’un fluide, d’un mélange d’humeurs bourdonnantes où la lumière glisse à travers les cloisons diaphanes. C’est pour l’essentiel une belle musique ambiante peuplée, chargée par endroits de drones proto-mélodiques, de ces fredonnements à venir que seule accorde la nostalgie de la lumière. Infatigable, cette fréquence lumineuse s’enfle, jusqu’à vibrer comme dans le morceau Endotoxic. Pulsation qui se transforme, dans Mutatrophine, au cœur de ce plasma où le synthétique modulaire singe si bien le physiologique, en mouvement systolique somptueux, exprimant dans le souterrain toujours plus de la lumière capturée.

Mais c’est peut-être avec Isogenic, morceau occupant plus de la seconde moitié de l’album, que l’épopée de l’amblyope prend un tournant singulier. Les premières minutes s’y déroulent dans plus d’obscurité, de saturations écrasées, d’humidité ferreuses. On craint d’avoir quitté le fluide pour la rouille. C’est sur ce nouveau terreau que doit encore une fois s’épandre, s’exprimer, ou, mieux dit, se dilater la musique ; de nouveau elle figure une respiration rythmée, dans un flux aussi incoercible que la vie qui s’écoule.

En ce sens cette œuvre à bien des égards d’ascendance industrielle, ne se laisse pas enfermer dans la machine, même à son seuil lorsqu’elle mâche pendant quelques secondes, même sur cette monumentale seconde moitié colonisée par le bouillonnement des oxydes métalliques. C’est une musique qui sait recréer cosmos et voyage, lumière dans la nuit, sève dans le minéral.

Denis Boyer