Geins’t Naït + L. Petitgand – Like This Maybe Or This

Mind Travels / Ici d’Ailleurs

www.icidailleurs.com

La collaboration de Thierry Mérigout, cœur de Geins’t Naït, avec Laurent Petitgand n’est pas nouvelle, au point que ce dernier semble naturellement membre de cette formation qui n’en est pas vraiment une. La musique de Geins’t Naït a peut-être pour attribut principal de ne pas être réductible, tant elle semble s’échapper de toutes les tendances qu’elle explore. Les musiques punk, industrielles et plus largement expérimentales y ont souvent été traitées comme une garde-robe dont on se hâterait d’échanger les pièces des costumes, d’accourcir les manches, de déchirer les pattes. Héritière de Dada, du surréalisme sûrement, elle est aussi certainement un dédale onirique.

Mind Travels la branche expérimentale et classique contemporain du label nancéen Ici d’Ailleurs, édite ici pour la troisième fois une collaboration GN / Petitgand. Celle-ci s’en distingue (Je vous dis, inaugurant la collection en 2014, était plus résolument électronique et mélancolique) en prenant pour manifeste traversant l’album, l’idée même de la versatilité qui sillonne la carrière de GN. « Toute histoire a une forme, nous prévient en anglais une voix dans un discours enregistré plaqué sur le premier morceau Shape of Stories, et la forme de chaque histoire est différente de celle de toute autre histoire. Comme ceci peut-être, ou ça. » Titre de l’album et manifeste ouvrant ses tiroirs de possibilités, cette phrase montre une intention narrative forte. Chaque morceau sera, est, tel une histoire, dont les contours changeants s’apparentent à la ductilité des rêves. Forme d’expression sans sens, la musique s’assume ainsi comme stimulatrice d’images, charge à l’auditeur de les agréger en « histoires ». Tel est le jeu, suivons-le.

Une histoire peut être linéaire, ou zigzaguer, ou se boucler, nous prévient encore la voix, didactique. Décidément mise en abyme, la musique du duo illustre ces possibilités. Des samples et des instruments construisent les uns comme les autres des séquences sur lesquelles évoluent un peuple insectoïde d’effets électroniques mais aussi des voix, des esquisses mélodiques. Ailleurs c’est un retour plus assumé à l’inquiétude des rêves sombres, aux expériences postindustrielles que l’on entendait aussi chez Brume. Les insectes se transforment sans vergogne en batraciens, l’intemporel du romantisme éclairé et minimaliste s’éclipse au profit d’anciennes manières de claudications électro. Car ce voyage (aux évocations – osons le mot – steampunk) dans les images tant classiques que mécaniques et par là même filmiques, est aussi un voyage dans le temps et même une confrontation des époques, qu’il faudra accepter pour pouvoir apprécier l’album. Pas de mode ici, pas de courant unique, aussi bifurqué et flexible pourrait-il être. Une histoire se compose, se complexifie, et les deux musiciens s’abîment dans les torsades synthétiques (Hac, Chut, Guido 10…) comme ils s’exposent aux cordes (Naga…) ou hybrident les deux (Bagd…). La voix revient périodiquement, en tête ou en queue de morceau « Like this maybe, or this », ouvrant et fermant alternativement les portes de pièces se succédant, procédant d’un même lieu mais offrant chacune sa propre architecture.

Rarement le beau travail photographique d’urbex par Francis Meslet, qui illustre tous les disques de la série Mind Travels, aura montré une telle connivence avec la musique qu’il accompagne : tous les casiers ouverts ou entrouverts ou fermés du monumental meuble de métier de la pochette semblent autant de possibilités d’histoires, de morceaux instrumentaux densément peuplés.

Denis Boyer