Susanne Skog – Siberia / Sirens

 

Fylkingen Records

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Il existe de nombreux précédents : comment rendre compte de l’impression du déroulement d’une distance dans un espace clos – lequel, évidemment, est un moyen de transport –, du trajet vécu par un intérieur fixe projeté dans un extérieur mouvant ? Assurément l’état d’esprit se modifie, et pas seulement par le fil habituel des pensées. On a en mémoire La Modification de Michel Butor (elle-même anticipée en quelque sorte par le trop méconnu Mon plus secret conseil de Valery Larbaud).

Voyages en bateau, en avion, en automobile, et bien sûr en train ont ainsi été documentés musicalement. Sur cet album de Susanne Skog, la principale qualité de la première pièce de 25 minutes, Siberia, est de faire progresser insensiblement le drone du transsibérien comme un échauffement. Naissant ténu, il gagne peu à peu en densité et, gonflant ainsi, il déploie ses harmoniques tout en se maintenant dans le registre du minimalisme ferroviaire. L’artiste parvient même, après plusieurs minutes, à susciter une séquence proto-mélodique scandée en rythme. Le tour de force, à l’intérieur de cette enfilade de chapitres gris, comme autant d’images effilochées par le regard de qui maintiendrait son œil toujours fixe à la fenêtre du train lancé, c’est la réinterprétation du temps. La sélection des sources, opérée dans un voyage de 205 heures et 9288 kilomètres, de Moscou à Vladivostok, est sans doute à considérer, mais elles ont été mêlées. C’est plutôt la transcription de ce passage qui marque l’esprit, la modification dans le même, le spectre du gris depuis le fil jusqu’au câble historié.

La deuxième pièce se construit sur des enregistrements de sirènes, réalisés en plusieurs années et plusieurs continents. Il n’est pas question d’entendre une collection de tonalités hurlantes mais, contre toute attente, d’effectuer un voyage sonore assez similaire à celui du train. Pour mieux dire, le déroulement est inscrit dans le programme, celui d’un drone étagé, épousant parfois le galbe du cylindre qu’il franchit, réglant le jeu du tourbillon qu’il y inscrit. Résonance, fuite dans les profondeurs, réapparition, chants lointains, c’est concourant à la beauté d’une courbe faiblement escarpée que Susanne Skog dessine sa stratification dans le style de Francisco López.

Il n’est pas, on le voit, pour cette artiste suédoise, de contrainte par la source, et si le train s’est imposé dans la forme de son compte-rendu sonore, c’est parce qu’il symbolise la course musicale atonale mouvementée dont il donne dans le même temps le prototype. L’Art des bruits, nous disait Russolo dans sa deuxième conclusion, consiste à « remplacer la variété restreinte des timbres des instruments que possède l’orchestre par la variété infinie des timbres des bruits obtenus au moyen des mécanismes spéciaux. » Sirènes comme wagons sont une matière. C’est tout le jeu d’une telle musique qui dans la répétition fait le choix du déplacement, de la variation horizontale et verticale des séquences et de l’échappement. La modification – disait-on – qui se dessine encore une fois patiemment.

Denis Boyer