Netherworld – Algida Belleza

Glacial Movements

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Il n’est, a priori, rien de moins propice à l’attendrissement que les étendues désolées des zones polaires. Un musicien comme Alessandro Tedeschi le sait bien, qui sous le nom de Netherworld parcourt depuis de nombreuses années les méandres musicaux d’une surface de banquise sans cesse redessinée par le vent et les jeux miroitants du soleil. Pourtant, à part soi, on ne peut s’exonérer de l’émotion, et je pense que la musique de Netherworld a toujours conservé cette poche de survie, ce cœur chaud irradiant dans l’étendue gelée.

Qu’il s’agisse des belles variations harmoniques ou des vagues synthétiques gardant leur souplesse même au plus froid du blizzard, il est bien question d’émotion et l’un des enjeux alors est de ne pas s’abîmer dans le sentimentalisme. Aujourd’hui, la tâche est plus grande encore car Alessandro Tedeschi a conçu Algida Belleza (« beauté glacée ») comme un double hommage : à la naissance de sa fille, aux espèces arctiques menacées. Ou comment tailler la gemme sans qu’elle apparaisse comme pacotille. Le métier, la conscience artistique, le timbre permettent un tel exercice vertueux, et Algida Belleza est une œuvre qui montre une nouvelle fois la richesse du détail d’une surface a priori sans accroc, celle de la fascinante microscopie. Pour mieux dire, il semble que cette musique ambiante glacée bénéficie alors d’un surcroît de potentiel figuratif qui se laisse deviner sans jamais s’afficher plus que la silhouette aperçue, prisonnière dans la matière bleue du glacier. Par exemple dans le morceau Somniosus Microcephalus, les vagues synthétiques partant en fuseaux détaillés, séparés par quelques secondes, se synchronisent sur la pulsation érodante d’un cœur enfoui dans la moraine, et l’on pense autant aux beaux territoires frontières d’Asmus Tietchens qu’aux réverbérations de Christoph Heemann et Andrew Chalk dans Mirror. Ailleurs, dans le morceau dédié au narval, Monodon Monoceros, la vague se résout en une succession minimale de flux et reflux mélancoliques, un mouvement simple et pur comme ont pu l’atteindre quelques figures seulement de la musique ambiante, Eno, Basinski ou Final.

Alors jamais l’attendrissement ne le cède à la mièvrerie, loin de là, et le surcroît d’émotion qui a saisi le musicien, joie et peine confondues, s’est tressé dans des gestes qu’il connaît et maîtrise, avec ce supplément de fragilité vibrante, comme la perle de glace bercée par le drone et menaçant de se détacher à chaque ébrouement dans le morceau Ursus Maritimus, comme une larme de glace menaçant de se briser au premier réchauffement de l’œil encapuchonné.

Denis Boyer