Thomas Tilly – a semiotic survey

Ferns

https://fernsrecordings.bandcamp.com/

 Depuis ses débuts sous le nom de Tô, Thomas Tilly n’a cessé d’augmenter toujours plus le grossissement de sa loupe auditive. Penché sur les environnements, il n’offre pas leur panorama mais un voyage infra dans leurs grains et leurs courants.

Pour s’en convaincre, il suffit par exemple de réécouter Test/Tone Documents, traduction sonore du bâtiment la Cartonnerie de Reims (sorti sur Drone Sweet Drone en 2016) ou la très ascétique infiltration forestière Script Geometry, publiée par Aposiopèse en 2014 (http://www.feardrop.net/?p=5). Aussi bien, c’est une position revendiquée par Thomas Tilly quand, en commentaire de ce a semiotic survey, il parle d’une « inversion perceptible des proportions entre les êtres vivants humains et ceux non humains » et de « l’audibilité de cette inversion » ; et c’est tout naturellement qu’il dirige ses micros vers les stridulations des fourmis ou d’autres portions modestes du paysage sonore d’une forêt tropicale. On pense évidemment, dans l’intention, à Jana Winderen ou plus encore à Slavek Kwi / Artificial Memory Trace. Avec eux il partage cette fascination pour les dynamiques sonores de ce qui se trouve sous la hauteur d’homme. A semiotic journey propose donc un voyage dans le son, sans aucune narrativité, presque sans vision (à peine certains cris d’animaux sont reconnaissables comme tels), mais avec une écoute exacerbée. Les pépiements, les compressions, les filins de drone, les crépitements, les oscillations forment un travail d’écriture sonore minimale, traduit des signaux « inhérents à la forêt ».

Le froid de la manipulation n’a rien d’une pose dans ces travaux, c’est la température idéale de circulation de ces sons infimes magnifiés par le travail de Thomas Tilly. Pourtant, ce serait une erreur d’imaginer ce travail comme un objet purement scientifique ou acoustique. Le musicien, puisqu’il faudra bien le nommer ainsi, le musicien tient à impliquer sa part de connaissance mais aussi son potentiel émotionnel, de les mêler aux signaux biologiques et à la surcouche électronique. Alors on retourne à cette infime mise en scène abstraite et l’on entend, autant que les formes du son, le dessin de leurs crêtes, la chaloupe de leurs sinus, la naissance d’un rythme, le fragile équilibre entre le rectiligne et le circulaire, et l’on discerne, de même qu’au cœur de la barque malmenée par La Grande Vague de Hokusai, le pas pérégrin et subjugué d’un voyageur du micro-monde.

Denis Boyer