L’Objet – Grand Antigua (LP)

Structure

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L’Objet est d’abord une création parallèle du duo Harpagès, formé par les frères du même nom, Antoine et Julien, que l’on remarquait dès leur premier album sur Le Cri de la harpe au début des années 2000. L’Objet est né peu après, en compagnie du guitariste et organiste Arnaud Boulogne, poursuivant le fil post-rock déroulé en duo. À cela vient s’ajouter un nuage cold wave colorant parfois en gris, bien qu’un peu moins souvent, le ciel commun avec Harpagès.

Aujourd’hui Julien est le seul des deux frères à continuer le chemin parallèle avec Arnaud Boulogne et deux autres musiciens (F. Breux et O. Desmulliez). À quatre ils se partagent sur les deux morceaux de Grand Antigua les claviers et les guitares. Mais la batterie reste le rôle exclusif de Julien Harpagès. Il n’est sans doute pas indifférent de s’arrêter sur cette batterie. Car à l’écouter, on tient peut-être la clef de l’évolution sensible que marque ce nouvel album : rythmique mécanique, comme en un temps où l’on ne cherchait pas le sensible dans l’électronique, mais plutôt le mécanique dans la chair. Avec Kraftwerk bien sûr, mais surtout Jaki Liebezeit (Can, Club Off Chaos…), robotique, mathématique, dont le jeu réverbéré ici éclaire la notion de transhumanisme avec un regard artistique alors que les augmentations que nous propose la technologie se limitent au mortifère.

Krautrock, post-rock et cold wave s’enlacent alors, certains y voient une comparaison possible avec Maserati ; j’y entends aussi des proximités avec Nao mais il s’agit ici d’une autre sorte de souffle épique, un jet plus chromé et introverti. La mécanique mathématique est là, c’est évident, mais je tiens pour plus psychotrope encore les deux compositions de Grand Antigua.

Deux morceaux de 15 minutes, durée permettant le déploiement progressif, autant que la pertinence due au format des deux faces du vinyle, deux morceaux de même humeur, celle de la claudication et des rutilances analogiques, les guitares elles-mêmes calant leur timbre sur celui des orgues. Les phases mélodiques, obligeant rapidement au fredonnement, s’imposent malgré la rigueur et la robustesse des squelettes rythmiques. Le premier morceau (la première face) éponyme du disque, montre ce jeu d’équilibre entre ce que la guitare ne veut abandonner (elle se revêt de delay) et la domination des orgues, ainsi le veut le fantôme krautrock circulant dans tout l’album. Rapidement, un pont de quelques dizaines de secondes, évoquant les extrémités le plus chaudes (voire, osons le mot, disco-funk) de Kraftwerk, vient poser la limite (discutable) du genre alors qu’ailleurs c’est plutôt une autre sorte de répétition qui domine : mécanique orangée, circularité analogique, bielles refroidies.

Mais il me semble que le sommet de ce disque se trouve sur le deuxième morceau, Toucan expansé, variation sur le thème d’un extrait du précédent album. Il impressionne par la pression vissée exercée sur le motif principal du clavier. Pan Sonic ont parfois effleuré la surface d’une apparition pop. Ici certains de leurs sons s’y baignent. La musique s’élabore par strates apparemment figées dans leur motif mais avec un peu d’attention, ou au contraire un peu d’abandon à la transe qu’ils génèrent, on contemple un subtil panorama de variations déclenchant l’envie d’un « static dancing » que le funk blanc avait su sublimer depuis les antithèses du post-punk réfrigéré et des séquences rythmiques échauffées. Je pense ici à un train suspendu, un volatile mécanisé dont les plumes augmentées, comme autant de wagons sur le monorail ou dans le couloir magnétique, propose un vol rectiligne, éminemment nocturne : le rêve en mouvement.

Denis Boyer