Sphyxion – 2

Zoharum

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La musique du duo Maninkari pourrait se limiter aux paysages déjà très vastes du drone, de l’Orient fantasmé, de l’ambient organique. Mais elle occupe dans sa forme et dans son esthétique un canton illimité de ce territoire : celui du rêve. Alors, elle peut doucement muer, varier ses pentes et emprunter le tour électronique si cela lui chante. C’est ainsi la deuxième fois que les frères Charlot quittent l’habit Maninkari pour revêtir celui de Sphyxion. L’ambition est de donner une vision très personnelle, soumise à des gestes particuliers, d’un style que l’on peut nommer minimal wave. Les rythmes, engendrés par la machine, éloignent du liquide qui hydrate les compositions de Maninkari ; ici ce sont des fluides métallisés qui circulent, huilent une boîte à rythme claudicante mais sans prééminence. On pourrait, par endroits, se croire dans l’atelier de Myiase, voire Into the Reactor. Car avant tout, les rutilances dominent. Là c’était le cymbalum, ici les vagues synthétiques et quelques scansions de voix féminines comme happées depuis des radios égarées, des sirènes cosmiques ondulant infiniment sur des embryons de mélodies incertaines. Elles semblent tendre le crépuscule sur un monde aux sables argentés, avec un ciel zébré de vagues lumineuses dont les plus remarquables sont les torsades de violons. Leur timbre est exactement dans le pas des chemins de Maninkari : en rêve ne reconnaissons-nous pas tout, tout de suite ? L’étrangeté n’est-elle pas bannie ?

Peut-être court-il sur certains morceaux un vent qui hâte la reformation des météores colorés ; la quatrième des pistes sans nom de ce deuxième album de Sphyxion se courbe sous l’effet d’un rythme plus guerrier, appelant une chevauchée sans gravité. On s’attendrait, approchant de l’ozone, à entendre au plus près les voix féminines fantômes mais peut-être s’effarouchent-elles alors d’une telle proximité. Car ailleurs les voix de trois femmes sillonnent le tempérament dark ambient des fuseaux synthétiques et contribuent à leur tour à la mise en pause du crépuscule. Le temps ainsi alenti, suspendu au phrasé glacé des quelques voix, des boucles hypnotiques, laisse entrevoir la permanence des résonances, autant que la simultanéité de la lumière et de la nuit.

Denis Boyer