William Basinski – On Time Out of Time

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Temporary Residence

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Le problème du temps est un paramètre important pour saisir l’œuvre de William Basinski. Pour l’essentiel il en joue comme s’il n’existait pas. Il crée des blocs de pure mélancolie, excellant dans l’artifice de la l’immobilité : Basinski est le magicien de la boucle. Aussi bien, c’est le problème de toute musique, art du déroulement plus que tout autre. Comme le cinéma peut leurrer avec le plan fixe, le musicien peut avec le drone et la boucle laisser croire à la suspension du temps, autant dire l’accès à l’éternité.

On ne s’étonnera pas que le musicien américain ait été sollicité pour interpréter en musique les ondes produites par la fusion de deux trous noirs, telle qu’elle s’est produite il y a plusieurs centaines de millions d’années et qu’elle a été captée par le laboratoire LIGO. Le son ne se propage pas dans l’espace, les ondes gravitationnelles oui. Basinski les a déroulées, en a saisi la partition, l’a interprétée. Traduction sonore d’un phénomène qui, quel que soit l’avancement de la science, nous dépassera parce qu’il relève de la plus titanesque et indomptable force cosmique, cette appropriation s’apparente esthétiquement aux autres travaux de William Basinski. Ses beaux traitements de sons, appliqués aux sources sidérales et aux dispositifs familiers du musicien, donnent le poli et l’angle de fuseaux bourdonnants et lumineux parmi les plus délicats de la scène minimaliste. De très lointains crépitements dénoncent l’origine analogique de nombreux sons traités, autant que l’image d’une captation perturbée en crête ; le faisceau central de son lumineux flue et reflue en une très lente marée doucement évolutive. Il marque une courbe parfaite, filée de manière circulaire, et laisse sourdre en bourdons plus pleins les harmoniques mélancoliques. Mais la particularité de ce disque, aussi puissant que ces prédécesseurs, tient peut-être dans la tonalité froide de la plupart de ces harmoniques. Du fond de l’univers, les grands dévoreurs de masse, d’énergie, de lumière, s’engloutissant l’un l’autre, expulsent des ondes que le poète terrestre, musicien distant par les ans et les parsecs, traduit en gel mélancolique, n’oubliant pas sa propre condition de musicien du souvenir, de la profonde émotion du perdu, tout en s’arrangeant des froids kelviniens du formidable phénomène. Un soupir, une larme sont tombés de la fusion des trous noirs, ces géants qui ralentissent le temps. William Basinski les a recueillis, en a distillé l’essence.

Denis Boyer