Frame – The Journey

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Glacial Movements

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La neige tombe sans bruit, et pour l’éternité les étendues glacées sont liées au silence. Les lèvres serrées, par crainte de la gerçure, le musicien des confins arctiques doit s’arranger d’une mission paradoxale – celle qui échoit en fin de compte à tout musicien hanté par sa charge – dessiner les harmoniques du silence. Non forcément composer aux abords de l’absence de son, comme Francisco López a su le faire, mais donner, par la mise en scène, à entendre le paysage sonore désolé et fascinant des étendues glacées. Un art, pour emprunter le titre d’un livre de Joë Bousquet, Traduit du silence.

Le musicien italien Eugenio Vatta s’est donné pour tâche, avec Andrea Benedetti, de composer une musique filmique, en ce sens qu’elle peut accompagner ou s’épanouir sur la suggestion de films muets. Donner l’écho d’images sans bruit, s’affranchir du ronflement de la bobine défilant sur le projecteur. Sous le nom de Frame – le cadre – ils inventent en direct l’image et le son liés, en un double cadrage extirpant du silence des images muettes le souffle musical intérieur qui les anime.

Une tendance expressionniste donc, qu’il faut accorder ici aux contrées silencieuses. Dès l’abord, les sons d’une mécanique souterraine, d’une tectonique cachée de la banquise, exhalent une brume cristallisée qui prend la forme d’un fredonnement solitaire. Deux grandes familles de sons, groupés selon leur homogénéité et leur altitude, constituent le matériau. Les uns, grésillants, presque métalliques, traversent l’atmosphère, météores nains illuminant une banquise de drones ductiles qui, telle la fourrure sous la caresse, se moire et s’assouplit avec l’hommage. On pense parfois à Zoviet*France, à la reconstruction d’un battement primordial qui dépasse le fantasme etho-ambiant pour aller chercher la pulsation originelle, cachée ici sous la neige, roulant avec la brillance des cristaux. Le silence des zones glaciaires qu’Eugenio Vatta a entrepris de traduire prend ici la forme de lumière, et tout le fredonnement traversant le disque, jusqu’au plus enfoui, semble bénéficier de la géométrie aérienne d’une réverbération infinie. C’est une musique ambiante qui revendique sa figuration, avec bravoure puisqu’elle s’inscrit en zone hostile. C’est en quelque sorte la sensualité aveugle de la glace, un frémissement pris dans le gel.

Après avoir si longtemps sonorisé des images muettes, leur avoir offert un chant, Eugenio Vatta a ouvert le champ de la caméra. Grand angle sur le silence, sur le froid. Pour lui : « Le silence des zones glaciaires est très similaire à celui de l’espace, tant d’un point de vue de la représentation que de la perception ». Il ne faudra donc pas s’étonner qu’un album commandé par le label des harmonies glacées, élaboré dans ce sens, intitule chacun des morceaux qui le composent du nom des planètes de notre système solaire. Sa musique lève souffles et mécanique bourdonnante sur les plus vastes des étendues silencieuses. Chaque changement de morceau s’entend comme le dévoilement d’une nouvelle scène d’un même film, le retissage des nappes, un nouvel angle de réverbération, le surgissement parfois d’une activité tellurique aveugle, peut-être le tour alourdi du projecteur envoyant les fuseaux de lumière qu’il ne contemplera jamais, consolé par leur traduction en musique.

Denis Boyer