Murcof – Lost In Time

R-12673719-1540585442-3101.jpegGlacial Movements

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 Il s’agit ici de la réédition CD d’une bande-son, un travail très ambitieux initialement publié en 2014 sous forme de double disque vinyle. Murcof alias Fernando Corona, est connu depuis ses premiers albums sur le label Leaf, au commencement du siècle, pour la finesse de ses compositions électroniques. Ceux qui y entendent les échos d’une musique plus ancienne, plus installée également, du baroque au modern classical, ne sont pas dans l’erreur. Le projet de Murcof est de retrouver par un mode d’expression contemporain, l’outil numérique et plus largement électronique, les mêmes écailles de blanc qui revêtent les compositions les plus sobres de musiciens distants dans le temps mais pas dans l’esprit. Son travail récent avec la pianiste Vanessa Wagner propose une nouvelle approche de l’interprétation de pièces empruntées à un répertoire minimaliste de cette ampleur (M. Richter, M. Nyman, R. Sakamoto, A. Pärt, G. Ligeti, E. Satie, Aphex Twin…).

Les Variations Goldberg, pour l’exemple qui nous intéresse ici, le fascinent et, de son propre aveu, une partie de son œuvre récente tourne autour. Je ne peux m’empêcher alors de me souvenir du palindrome souvent attribué à Virgile, in girum imus nocte et consumimur igni, peut-être tout simplement médiéval – Nous tournons dans la nuit et nous sommes consumés par le feu. Debord en avait fait le titre de son film de 1978, habillé par la musique de Couperin, ce qui nous ramène à la musique baroque. Murcof, comme le papillon à la flamme, tourne autour des Variations Goldberg de J. S. Bach, et l’artiste et cinéaste québécois Patrick Bernatchez nourrit pour elles une égale fascination. L’œuvre de Bernatchez, Lost In Time est, après une exposition du même nom, un film où le blanc et le noir, fixés sur pellicule couleur, s’abîment dans un paysage arctique parcouru par un cavalier et son cheval, perdus sans doute, également caparaçonnés. Le temps semble s’y figer, une montre échouée dans la neige, de même qu’une musique qui, à l’image de tant d’autres que nous décrivons ici, s’est donné pour tâche de sculpter des blocs d’éternité. Le drone, blanc comme la pochette, comme la poche d’art tremblant de cette œuvre résonante, fuse, percé après quelques minutes par l’Aria des Variations Goldberg, interprétée pour l’occasion par une maîtrise d’enfants canadiens, Les Petits Chanteurs du Mont Royal. Le motif ressurgira plus loin, présentant le projet de Murcof dans une de ses plus belles réalisations, la mise au jour de la beauté des motifs minimaux, qu’ils appartiennent au fonds instrumental ou à son analogue électronique. Les voix des petits chanteurs s’engloutissent dans un fuseau analogique, un cosmos ou la matière séparant les étoiles s’est blanchie. La mélancolie de ce ciel inversé filtre goutte à goutte dans l’épaisseur des strates harmoniques, étagées jusqu’à exhaler le souffle, la lumière et la proto-mélodie. Le fredonnement, par cet échauffement à froid, voit de nouveau son fantôme s’élever. Une musique perdue dans le temps, où Bach, Tangerine Dream et les concrétions minérales les plus numérisées s’agencent en hélice plate, aux spirales effondrées parfois, laissant seul vivant, aux portes de la mort blanche, le souffle de la neige rasée par la bise la plus ténue. De si près les dessins des cristaux vibrent, reviennent au jour, gonflent la poche pour suspendre l’inespérée, l’aurore boréale, dans un jour naissant.

 Denis Boyer