John 3:16 – עשר

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 Borges, pour qui la théologie était une variété de la littérature fantastique, pointait avec amusement que la plupart de ses compatriotes argentins croyaient au paradis sans s’y intéresser, alors que lui n’y croyait pas mais s’y intéressait. Dieu est mort, les dieux sont morts. Mais sans leurs récits nous serions orphelins. Tout mythe dit pourquoi le monde est tel qu’il est, et les contingences des personnages qui y circulent sont autant de miroirs, plus ou moins déformants, d’une forêt de symboles dans laquelle nous ne cesserons d’errer. Il faut donc louer Philippe Gerber, alias John 3:16, pour sa musique jalonnée de lieux, de moments ou de figures mythiques, à la puissance évocatrice d’immensité cosmogonique ou de profondeur infernale. Les titres de ses morceaux sont autant de promesses réalisées d’une échappée poétique chargée d’un tel symbolisme, de même que son pseudonyme qui très certainement suggère le verset de l’Évangile de Saint Jean, célèbre en ce qu’il résume l’essence du christianisme, mais l’on peut aussi choisir de se reporter au texte d’un autre Jean, celui de Patmos, dont le verset 3 :16 de l’Apocalypse dit « Ainsi, puisque te voilà tiède, ni froid ni chaud, je vais te vomir de ma bouche ».

Son précédent album Visions Of The Hereafter – Visions Of Heaven, Hell And Purgatory permettait de saisir toute la richesse mélodique et rythmique (envoûtantes lignes de basse) d’une rutilance aux tempéraments alternés. Forte d’une telle ambigüité, sa musique post rock magmatique et cold dans les mêmes arpèges (il existe des précédents magistraux de la résolution de ce paradoxe tels le Pornography de The Cure et une grande majorité de la discographie de Nadja) se fait le véhicule des images qui varient d’un soleil vainqueur à une nuit apocalyptique. Les titres de nombreux morceaux de la compilation anniversaire עשר (10 en hébreux) traduisent ce moment ultime entourant la parousie : The Sun Shall be Turned Into Darkness, La Fin absolue du monde, The White Horse… Des effluves de métaux vaporisés comme sur Judith, où un motif hypnotique se déroule de manière plus claire, voilà les variations de densité d’un bain de matière noire, ambrée et magenta. Cold wave, ambient cosmique et drone forment les rubans dans cette pâte minérale jouant l’enchevêtrement et la circonvolution des motifs de l’agate. Monde ouvert jusque dans ses versants les plus nocturnes (The Sun Shall be Turned Into Darkness), la musique de John 3:16 met en scène sans dicter de scénario, elle évoque le mythe et le sacré sans user du rituel rebattu. Ce travail patient sur la résonance de cordes, s’approchant parfois de Fear Falls Burning ou Thisquietarmy, épouse la forme d’un imaginaire psychédélique, et cette compilation montre l’ouverture et la maîtrise d’un geste tourné durant dix années.

Denis Boyer