Eraldo Bernocchi & Netherworld – Himuro

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Glacial Movements

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Si le froid est un pas marqué vers l’entropie, il arrive que sa poétisation emprunte d’autres voies que celles de l’immobilité. Que l’on s’intéresse au flocon, au cristal de glace, c’est le contour et ses angles qui surgiront, en pleine lumière, emplissant l’écoute. Avec de nombreuses sources sonores fournies par Alessandro Tedeschi / Netherworld (le fondateur du label Glacial Movements), Eraldo Bernocchi a composé en suivant strictement le code ciselé d’une esthétique glacée pour le moins, vedettisée par des labels tels Mille Plateaux ou Kompakt. Autour de son pied rythmique se réverbèrent des plaques parallèles de courbes argentées, ailettes de sandales mercuriennes qui projetteront le voyage sur des landes ambiantes arctiques parfois moins escarpées mais souvent ponctuées d’une géométrie bleutée et cliquée. Une transe s’élève, naturellement, reprise par la mesure 4/4, et nimbée de vagues finement tissées sur une trame de cordes.

Peut-être extrêmement sensible à tant de réverbération, le manteau neigeux érige en manière d’éveil, de très élégantes stridences qui s’agrègent un fredonnement lumineux – hallucination des glaces – aux vapeurs mélancoliques. C’est peut-être à ce moment que la boucle totale, le son infini comme celui de la guitare de Michael Brook, déploie son plus large horizon, suréclairé de lumière solaire. De loin, les crènes des montagnes sont à peine des échancrures et ce sont ces détails que le miroitement glacé fait osciller. C’est en focalisant à l’extrême sur cette dentelure que la musique devenue ambiante glacée fait resurgir sa vascularisation technoïde, héritée par la médiation de Gas ou Noto, de la pulsation des fondateurs Phaedra et Rubycon de Tangerine Dream, musique chill-out avant même qu’il fût question d’un quelconque « chill-in ». Chill, tout simplement chill, le frisson, la bravoure – la bravade – de la dentelle de glace devant le soleil qui aura raison d’elle. Musique de ce frisson allongé, danse du flocon sous trop de lumière et partition de sa ciselure, Himuro est, à l’image de l’antique chambre froide japonaise dont il tire son nom, un disque d’isolement, une autarcie de la mélancolie glaciaire. C’est la musique du refus de la fusion, la magnifique et déchirante volonté de prolonger en de précieux instants le dessin de la glace, avant qu’il disparaisse, avalé par la pâte boueuse de la débâcle.

Denis Boyer