Fret (Mick Harris) – Over Depth

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Karl Records

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 Il en est sans doute qui portaient le deuil de la musique de Mick Harris, craignant qu’avec sa disparition des réseaux sociaux, qu’avait précédée sa mise sous silence musical (le dernier disque de Scorn date de 2011) sa retraite serait permanente. Non, il était simplement question de patience. Je n’imagine pas Mick Harris vivre sans composer pas plus que le poisson ne tolère la mise au sec prolongée. Le tropisme abyssal de Mick Harris l’a fait replonger, et c’est, contre toute attente, sous un autre pseudonyme que Scorn. En 1995, Resonance, éphémère filiale française du label anglais Downwards, publiait un vinyle trois titres de Fret, alias de Mick Harris qui, explorant résolument le domaine du rythme, ne doublait pas les structures de Gyral, le premier album de Scorn a avoir été réalisé par Harris réalisé seul, complexe variation autour de rythmes hop, de basses dub et de motifs luminescents. Le Ep de Fret était quant à lui plus « mathématique », dans la même mesure que l’album Logghi Barogghi de Scorn, avant même la sortie de celui-ci. J’avais parlé, en chroniquant Fret dans Fear Drop 3, de « respirations mécaniques ». Il s’agissait bien de cela, Mick Harris jusque dans les plus sèches de ses propositions, a su projeter la complexité d’un organisme et de ses fonctions. Mais Fret fut le projet d’un seul disque, lui-même peuplé de trois morceaux simplement. Pourquoi cet alias ressurgit-il pour le retour en musique de Mick Harris, au lieu du très attendu Scorn ? Peut-être en raison de cette attente même ? Parce que nul engagement ne saurait désormais le retenir ? Ou par souci anti-commercial, un souci qui a toujours caractérisé Mick Harris…

Ou peut-être faut-il, en examinant ce retour de Mick Harris, être attentif à la forme même de sa musique, et que ce nom de Fret désigne le projet, absolument différent de Scorn. Il y a eu, dans la discographie de Mick Harris, un morceau que j’estime de la plus grande importance. Intitulé Tap, il fut publié sur la compilation Sub Rosa L’Inachevé en 1996. Il est remarquable en ce sens qu’il inverse les prérogatives des sons rythmiques et mélodiques. Sur Tap, c’était le piano qui jouait la boucle autour de quoi tournaient les complexes formes virevoltantes et pointues de la composition percussive. De la même manière, ce retour de Fret dessine les entrelacs percussifs aussi libres que des motifs décoratifs fin de siècle, obéissant à une géométrie qui laisse toute apparence à la courbe. Derrière, et parfois dedans, s’élèvent quelques brumes, quelques vapeurs qui, par réaction chimique, se font anguleuses et cloisonnent les instants dans une scansion rythmique. Pourtant, je peine à qualifier cette musique de véritablement industrielle. Elle porte le poinçon d’un artisan à l’écart, « au-dessus de la ville », ici-même au-dessus des profondeurs car ce qui marque Scorn est définitivement attaché à la basse, alors que Fret percute, s’envole puis repercute, nage et s’enroule, se festonne de cuivre (Murderous Weight), puis repercute. Tout l’art de celui qui fut un batteur d’exception se redéploie alors, au-delà même des savantes constructions jamais menacées d’effondrement, entêtantes comme une végétation psychotrope, jusque dans les échappements de leur parfums, épousant leur forme tel un nimbe, en station atmosphérique et soumises ainsi à d’autres pressions, suspendues entre la profondeur et la lumière, entre l’abysse et l’anamorphose de la surface, pour un périple en eau trouble.

Denis Boyer