Sum Of R – Orga

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Cyclic Law

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 Reto Mäder (que l’on connaît aussi pour son electronica accidentée sous le nom de RM74), ouvre le nouvel album de Sum of R par l’enregistrement du medium convoquant en 1936 – sans succès ! – l’âme de Robert Houdin, Houdini, qui avait promis à son épouse une ultime évasion : échapper à la mort. Ce même enregistrement a été utilisé récemment par Sonic Area sur Music For Ghosts, et comme Sonic Area, Sum of R semble jouer ici une musique de l’outre-monde. Peut-être moins physique que son premier album, qui faisait résonner le souvenir de Zero Kama, Orga confirme Sum of R dans un univers postindustriel mais les différentes formes d’obscurités qui y cohabitent balaient un spectre bien plus large que le seul rythme de l’aciérie. Les boucles de basse retentissent en écho d’une cold wave rituelle à la Virgin Prunes ; voyons-les comme les premières manifestations de ces limbes d’où l’esprit d’Houdini était censé répondre mais ne l’a pas fait – l’autre dirait « Si je meurs, je meurs » –, une lente cérémonie d’entrée dans le monde spirite cher à Théophile Gautier. La suite de l’album, dans une ombre épaisse que, transfiguré par l’introduction, l’auditeur peut désormais percer de son regard, se déroule en un lent chemin de tintements, faisceaux d’orgues, plaintes de cordes… Il faut insister sur ce qui permet de distinguer l’album d’un énième ersatz dark ambient, un réel talent de l’économie dans cette mise en scène nocturne, rehaussé par quelques percussions et surtout par le choix des textures et des micro-minéralisations qui ponctuent la voûte comme autant d’étoiles. Ce scintillement se retrouve, tel une respiration, dans les flux et les reflux de la vague d’harmoniques dont le travail de chauffe fait lever un fantôme vocal, un fredonnement absorbé par la voûte puis renvoyé en ondulation circulaire. Le temps même s’oublie dans ce mouvement repris sur chaque pièce, au long de l’album, proche en cela d’une respiration, faisant du versant des morts, de la nuit éternelle, non plus un lieu, mais un organisme : une musique inspirant, expirant, diffusant dans ses plus larges artères comme dans ses plus infimes capillaires la distillation des bitumes élégiaques.

Denis Boyer