Phonophani – Animal Imagination

R-10216661-1493559045-9137.jpeg

Hubro

www.hubromusic.com

 Les chemins du paysage musical sont le plus souvent comme les tableaux romantiques, dépeuplés. Quoi de plus juste pour une âme errante, en désir d’épanchement, qu’une vaste étendue sans silhouette fâcheuse, sans fumée pour signaler le village qu’il faudra éviter, si le voyageur a pour vocation profonde de se retrouver seul face à une nature reflétant sa « nostalgie de l’unité » ? C’est à peu près ce que le musicien norvégien Espen Sommer Eide avait donné à entendre dans ses rares albums réalisés sous le pseudonyme Phonophani, pour les labels Biophon ou Rune Grammophon. Pour l’essentiel des paysages ouverts, des vagues élégantes et une subtile draperie d’accidents minéraux, traversés de fontaines d’harmoniques.

Aujourd’hui avec Animal Imagination, il se lance dans un voyage différent, dont la présentation de principe : « I started hammering the keyboard with my paws, the sound rushing past me like wind while running. There was no composition or reasoning, just the beating of blood in my ears. I was finally making music like a dog. »,  donne le ton d’une inspiration shamanique.

Le paysage est cette fois intérieur, transcendantal, il balaie les visions d’un esprit primordial, habité d’une ardeur animale, libéré si l’on peut dire des paravents de la civilisation. C’est semble-t-il le projet de cette belle musique ambiante qui rend compte d’une communication vers le contenu, un « espace du dedans » pour reprendre les mots de Michaux qui se connaissait en états d’altération de conscience.

Ainsi, usant d’un lexique éprouvé  (On pense tant à Fennesz qu’à Tangerine Dream ou à Zoviet France), sons granuleux et étincelants dans le même temps, faisceaux de lumière synthétique ou issue de cordes échappées du temps, à quoi il ajoute, nous dit-on, des sons produits d’appareils qu’il a lui-même créés, Phonophani réinvente son langage, le vivifie hors de la raison. Il fait tournoyer ses particules lumineuses, de calibres variés, échauffe leur structure dans une boucle héritée des minimalistes américains, jusqu’à, rendu à la température idéale, mettre le train des sons tout entier sur le rail circulaire. Imaginons une caravane d’insectes bigarrés en ellipse autour d’un unique photophore… Cette épopée stroboscopique expédie ses reflets en d’innombrables globes lumineux ; des sons comme ceux que produirait, plus par goût que pour tromper l’ennui, un insecte prisonnier d’une ampoule de verre dansant un ballet compliqué, dévoilant à l’esprit shamanique le fredonnement mélodique qui s’y nichait.

Denis Boyer